Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea

Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Bluewitch, le 16 décembre 2023 (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (794ème position).
Visites : 1 932 

Tramontane, Sirocco, Libeccio, Ponant et Mistral

Comme le dit son auteur, dont le bagage littéraire est rempli des épices scénaristiques du cinéma : un roman, c'est avant tout une histoire. Une histoire qui souffle comme un vent voyageant par monts et par vaux, campagnes et villes, s'agrémentant au passage d'effluves vivantes, contrastées, subtiles ou chargées. Un vent qui aurait son propre nom.

Avant tout une histoire, donc. Mais si Jean-Baptiste Andrea s'en contentait, l'aventure de Mimo et Viola ne déposerait pas son parfum de façon durable sur mon chemin de lectrice...

Dans un monastère isolé, en 1986, un homme s'éteint. Sa mémoire se retourne sur le chemin parcouru. Il n'est pas moine, mais il vit là, "veillant sur elle", depuis plus de 40 ans.

1916. Michelangelo Vitaliani, alias Mimo, orphelin de père à douze ans, souffrant d'achondroplasie, a des rêves évidemment bien plus grands que lui pour compenser sa petite taille. Sa mère, qui l'appelle toujours "mon grand", désargentée, l'envoie chez un "oncle" à Pietra d'Alba en Italie pour lui permettre de retrouver ses racines et un travail d'apprenti sculpteur. L'accueil y est brusque et violent. Commence alors un parcours chaotique, où son talent extraordinaire cherchera à tout prix les moyens de s'exprimer. Et puis il y a la rencontre avec Viola, sa jumelle cosmique, enfant d'une intelligence exceptionnelle, fille de la riche famille Orsini, indomptable et flamboyante. Se tisse entre eux une amitié improbable et secrète, nourrie de leurs singularités et de leur incessant combat pour exister au-delà des limites que la société leur impose.

Traversant les époques, les bouleversements connus par l'Italie durant deux guerres, chacun fera de son mieux pour déployer ses ailes, connaissant de fulgurantes ascensions et de terribles chutes. Mais toujours, leur amour comme un aimant aux polarités variables, sera la structure de ce récit poétique, passionnant, riche, aux mille nuances d'ombres et de lumières.

J'ai aimé l'éclosion de cette histoire qui s'est ensuite développée comme un végétal luxuriant et impossible à contrôler mais dont toutes les tiges et branches trouvent leur parfaite place. Les personnages, qu'ils soient principaux ou secondaires, ont peut-être tout ce qu'il y a potentiellement de convenu sur le plan romanesque (l'oncle malveillant et violent, l'ami fidèle et son frère simplet, les alliés de passage parfois roublards, parfois influents et manipulateurs, etc.) mais se rencontrent parfaitement pour faire vivre ce roman d'une belle ampleur. Un roman ouvrant la voie aux questionnements philosophiques, politiques, émotionnels d'une façon qui n'est jamais tranchée ou manichéenne, mais bien l'écho de nos petites et grandes contradictions. La relation de Mimo et Viola offre une incarnation à ces liens presque mythiques, romantiquement bancals, impossibles, terriblement touchants. Il est inévitable de s'attacher à leur intensité, leur obstination, leurs orgueils, leurs fragilités.

Le style de Jean-Baptiste Andrea porte ce récit comme une mise en lumière, comme un faisceau nocturne révélant l'intensité et les contrastes. Un style précis comme un couteau et en même temps généreux. Avec humour, sagacité, richesse de références artistiques et socio-politiques, et puis, implacablement, tendresse et poésie, il nous emporte comme un vent (mais quel vent?) chaud et sec avant de nous déposer dans le lit moelleux d'une douce mélancolie.

L'art littéraire, comme l'art de la sculpture, c'est voir à travers les mots, comme on voit à travers la pierre le visage d'une Pietà, l'histoire de vivants qui n'existent pas mais qui portent en eux l'éclat de notre propre reflet.

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Iconoclaste et féministe

9 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 18 octobre 2024

Une très très belle histoire que nous livre l’auteur du prix Goncourt 2023 avec la subtilité et l’art de d’offrir au lecteur un récit romantique, prenant et truffé de rebondissements avec un épilogue aussi réussi que surprenant qu’inattendu au point que j’en ai presque eu les larmes aux yeux.

On peut certainement toujours trouver des points faibles à ce roman qui surfe vaguement sur un fond historique sans réellement se soucier de cette réalité en allant pêcher de-ci-delà des épisodes de la période noire de l’Italie fasciste, bizarrement sans réellement accabler cette période qui, certes comparée au nazisme allemand fut sans doute moins fanatique et toujours accompagnée d’une opposition, certes timorée et hypocrite, mais bien réelle.

Autre défaut, mais cela reste personnel, j’aime les romans qui me parlent, et ce roman, hormis le message subliminal qui devient plus explicite à la fin, m’a très peu interpellé ; les personnages dont le caractère est bien décrit sont finalement peu attachants.

On peut donc aussi admettre que l’académie Goncourt semble depuis l’illisible « Boussole » de Mathias Énard plébisciter des romans plus accessibles et mieux équilibrés.

Assurément une excellente session de lecture.

Une splendeur

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 26 juillet 2024

Prix Goncourt le plus récent, ce roman assez épais (presque 600 pages en "grand format"), mais qui se lit malgré tout assez rapidement, est une pure merveille. Une histoire d'amitié/amour compliquée, fluctuante, entre une jeune femme issue de la bourgeoisie provinciale italienne (l'action se passe dans les années 20 à 80) et un jeune homme atteint de nanisme, issu de la classe ouvrière, apprenti sculpteur qui deviendra un grand (pas par la taille, évidemment, mais par le talent) sculpteur. Le narrateur de l'histoire.
Par certains aspects (dépiction de la vie en Italie profonde pendant une période troublée) j'ai pensé au roman "Le Jardin des Finzi-Contini" de Bassano et au film "1900" de Bertolucci. On connaît pire comme références.

tout est dit

7 étoiles

Critique de Krapouto (Angouleme Charente, Inscrit le 4 mars 2008, 79 ans) - 17 avril 2024

tout est dit, les précédents commentaires résument assez bien ce roman pour que j'évite toute redondance. J'ajouterai pour ma part les flash-back énervants , l'incrédibilité de la statue planquée par le Vatican ,"elle" -qui est-elle ? - Idem pour la vue qu'il perd et qu'il retrouve quelques pages plus loin. Quant à " l'intelligence de Viola" (c'est comme les impôts: trop d'intelligence tue l'intelligence) elle ravirait plus d'un misogyne qui n'en retiendrait que son excentricité. Une mention honorable à l'écriture simple et souple qui permet d'avaler les 600 pages sans dommage.

Un roman dense !

10 étoiles

Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 14 avril 2024

Jeune adolescent nain, Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, est envoyé par sa mère qui ne peut plus s’occuper de lui, chez un soi-disant oncle, sculpteur, comme apprenti. Le père de Mimo était lui-même sculpteur et avait transmis sa passion et son savoir à son fils, mais il était mort à la première guerre mondiale. Or cet oncle, piètre sculpteur alcoolique, l’utilise plutôt comme larbin. Non loin de là, habite l’illustre famille Orsini. Mimo fait la connaissance de leur fille Viola, un peu sauvage, un peu originale, qui aime se coucher sur les tombes du cimetière et est d’une extrême intelligence. Leur amitié fait tout le sel de sa vie et durera toute leur vie, même si elle sera elle aussi originale et en pointillé. Au début, cette relation ne peut se vivre qu’en cachette car tout les oppose et les sépare. Mimo subit tant de brimades et de sévices qu’il va chercher à prendre sa revanche. Il part tenter sa chance à Florence...
Entre-temps, Viola a été fiancée à un parti intéressant pour sa famille. Toute sa vie, elle est niée dans son identité personnelle. Seul Mimo la considère, la comprend et la défend. Cette amitié-amour si particulière en dent de scie fait tout l’intérêt de ce roman. Sa densité et sa complexité sont très bien racontées par l’auteur, qui fait une description très pointue de ses personnages.
L’auteur replace son histoire dans la grande Histoire de l’Italie et ses personnages sont ballottés par elle malgré eux.

Jumeaux cosmiques !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 1 mars 2024

Jean-Baptiste Andrea (1971- ) est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il reçoit le prix Femina des lycéens et le prix du premier roman pour son premier livre, Ma reine, sorti en 2017, le Grand Prix RTL-Lire en 2021, ainsi que le prix Goncourt 2023 pour son quatrième roman, Veiller sur elle.

Michelangelo Vitaliani ( Mimo) a 13 ans quand sa mère - très pauvre - le confie à son oncle, sculpteur à Pietra d'Alba.
Maltraité, cloisonné aux basses oeuvres, Mimo va rapidement éclabousser les apprentis de l'atelier par son immense talent, son génie.
Viola Orsini est la fille du "clan Orsini" , famille de la grande noblesse italienne. Sa destinée est toute tracée, elle fera un mariage heureux dans l'intérêt de la famille .
Mais Viola est une rebelle, qui s'abreuve de littérature, de journaux, avide de connaitre la marche du Monde.

Ces deux-là n'étaient pas destinés à se rencontrer et pourtant....
Les circonstances vont les réunir et c'est une amitié pour la vie qui va sceller leurs destins. Des jumeaux cosmiques qui vont apprendre l'un de l'autre, se retrouver la nuit dans le cimetière de Pietra d'Alba, se séparer, se retrouver.
Viola va façonner Mimo, lui donner envie d'apprendre.
Mimo va sculpter - comme Michel-Ange à son époque - son chef d'oeuvre, sa " Joconde" , une statue que le Vatican va cacher car controversée, unique, divine .

Un roman qui balaie la première moitié du XX ième siècle en Italie. Les 2 guerres mondiales, la montée du fascisme. Les alliances malsaines entre l'Eglise et Mussolini. Mais aussi, Florence, Gênes, Rome et... Pietra d'Alba.
Une oeuvre autour d'un amour impossible.
J'ai pris un très grand plaisir à la lecture de ce roman qui réunit toutes les qualités d'une oeuvre majeure. Un style, une histoire incroyable , 2 personnages hors normes.
Un Goncourt mérité !

Un miroir moderne de l'illustre Michel-Ange

8 étoiles

Critique de Ori (Kraainem, Inscrit le 27 décembre 2004, 89 ans) - 4 février 2024

L’auteur a la bonne idée de faire sortir de l’ombre Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, né en France au début du 20è S et qui, porté par la magie de son prénom, jouira du même destin de sculpteur génial que le Michel-Ange Buonarroti du 15è S. en sculptant notamment une Pieta.

Malgré un manque d’émotion, ce roman est bien écrit, tout en souffrant de longueurs évitables. Il démarre autour de 1918, et nous fait vivre la mutation politique italienne avec notamment l’unification du pays, la montée de Mussolini, et la nomination de Mgr Roncalli au titre de pape Pie XII.

Un ouvrage lauréat d’un Goncourt (celui-ci de 2023) et qui ne soit pas un navet, cela mérite d’être souligné !

Créer malgré le fascisme

9 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 14 janvier 2024

Le don de la sculpture permet au protagoniste, fort intuitivement dénommé Michelangelo, de surmonter les difficultés amoureuses, familiales, physiques, de richesse, politiques et sociales, pour établir des productions d'un intérêt fort particulier. Tout semble s'acharner sur ce personnage principal, alors que le sort finit par le préserver et le mettre en valeur.
Ce roman est beau, bien soutenu par une narration riche en rebondissement, un style simple mais assez beau. Il présente beaucoup d'attraits, à mes yeux. Il s'en émane une forme d'optimisme.

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