Les amants de Casablanca
de Tahar Ben Jelloun

critiqué par Pascale Ew., le 27 décembre 2023
( - 57 ans)


La note:  étoiles
Récit d'un gâchis conjugal
Lamia et Nabile s’aiment et se marient. Ils proviennent tous deux de familles vivant à Casablanca et originaires de Fès, mais les parents de Lamia sont plus riches que ceux de Nabile et elle attache beaucoup plus d’importance à l’argent et aux apparences que lui. Lamia est une femme ambitieuse, indépendante, qui travaille beaucoup. De pharmacienne, elle devient femme d’affaires, tandis que Nabile, médecin, consacre une partie de son temps en bénévolat et pour des patients démunis. La routine de couple s’installe entre eux et après dix ans de mariage, Lamia tombe sous le charme d’un séducteur, collectionneur de femmes. Une passion de six mois s’ensuit, mais lorsque son amant la quitte, elle ne peut cacher ses larmes et décide de quitter son mari.
L’histoire est d’abord racontée par une voix extérieure, neutre, factuelle et froide. Ensuite, Lamia et Nabile racontent à tour de rôle leur histoire vécue de l’intérieur, leurs sentiments, leur point de vue. C’est une histoire bien triste, finalement ! Un beau gâchis ! Et je l’ai trouvée aussi triste à lire.
L’auteur dépeint la société marocaine et ses carcans de manière impitoyable. Il dénonce encore une fois l’islamisme et les mauvaises interprétations radicales du coran, ainsi que les contournements hypocrites des règles religieuses imposées par et à la société civile. Il fustige le manque d’égalité entre les hommes à qui la société passe toutes les infidélités et les femmes qui ne font l’objet d’aucune pitié. Selon Tahar Ben Jelloun, l’hypocrisie, l’espionnage et les rumeurs règnent en maîtres au Maroc.
Scènes de la vie conjugale au Maroc 7 étoiles

Tahar Ben Jelloun, inspiré par le film d'Ingmar Bergman, "Scènes de la vie conjugale", décrit un couple qui se perd dans la routine. Un beau jour, Lamia tombe amoureuse d'un autre homme qui se lassera d'elle. Abandonnée par lui, elle se sépare de son époux. C'est ainsi que débute le roman.

L'auteur décrit une situation somme toute banale, lue dans de nombreux romans, vue dans de nombreux films. Ce qui la rend plus originale est que son ancrage géographique se situe au Maroc, à Casablanca avec les mentalités que nous pouvons imaginer. Lamia a un meilleur salaire que son époux, pourtant médecin. Elle décide de divorcer et trouve normal d'avoir une pension à verser à son ex-mari. Dans un Maroc, divisé entre modernité et tradition, les questionnements sont à la fois similaires aux nôtres tout en étant soumis à certaines questions religieuses. A travers une situation commune, l'auteur évoque son pays, des mentalités en évolution ... Je suis certain que de nombreux lecteurs découvriront des éléments sur les mentalités marocaines et qu'ils seront aussi surpris par ce vent de liberté que certaines habitants s'octroient. Nous avons peut-être une image un peu stéréotypée sur le pays.

L'écrivain s'autorise aussi à émettre quelques réserves sur le Maroc et à critiquer certains points. A plusieurs reprises, par le biais d'un personnage, il évoquera son souhait que la religion n'intervienne plus autant dans la sphère privée. L'auteur ne défend pas un seul point de vue de façon manichéenne, il sait nuancer ses propos et affirmer parfois clairement ce qu'il pense. A cette fin, il y a une alternance dans les points de vue narratifs dans ce roman. Le début de ce dernier est raconté de l'extérieur afin de présenter le couple. Par la suite, Nabile et Lamia seront les narrateurs, ce qui permet au lecteur de voir comment ils envisagent la situation et combien parfois on peut se tromper dans ses jugements. Cela permet de se questionner sur le premier grand amour, sur la passion et sur l'amour raisonnable qui se forge à un âge plus mûr.

L'écriture est limpide. Quelques répliques m'ont semblé facile parfois. J'étais même surpris qu'un tel auteur puisse céder à certaines facilités. L'ensemble se lit tout de même bien volontiers. De nombreuses allusions sont faites à des films abordant le même sujet comme si les oeuvres fictives nous apprenaient beaucoup de choses sur la réalité et touchaient à la vérité de l'être humain. Le film qui parcourt le plus ce roman est celui de Bergman. De nombreux passages entrent en résonance avec ce dernier. Bien que le sujet évoqué soit commun, il permet de pénétrer dans l'intimité d'un couple et l'analyse précise qu'en fait l'auteur parlera au plus grand nombre.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 4 juillet 2024