Le Roi se meurt
de Eugène Ionesco

critiqué par Fee carabine, le 8 décembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Une étourdissante confrontation avec la mort
"Tu vas mourir dans une heure et demie. Tu vas mourir à la fin du spectacle."

C'est à la page 37 (sur 137), et à ce stade de sa lecture, le lecteur est fixé sur l'enjeu de la pièce. Le Roi se meurt, il va mourir à la fin du spectacle et il ne s'y est pas préparé. Il aurait dû suivre les conseils de la Reine Marguerite et garder la pensée de la mort aux tréfonds de son esprit, mais il a préféré s'amuser, jouir de la vie de bal en bal, de fête en fête en compagnie de la Reine Marie. Il est "comme un écolier qui se présente à l'examen sans avoir fait ses devoirs. Sans avoir préparé sa leçon... (...) ... comme un comédien qui ne connaît pas son rôle le soir de la première et qui a des trous, des trous, des trous." Le Roi aimerait continuer à faire l'école buissonnière... Le Roi aimerait redoubler.

C'est grotesque, burlesque, cela prête à rire... jaune. Et puis le rire s'étrangle, et le sourire se mue en grimace... car qui d'entre nous n'a jamais souhaité de "redoubler" sinon sa vie entière, du moins certaines de ses pages? Et qui d'entre nous ne préférerait pas "faire l'école buissonnière"? Mais avec la vie, avec la mort, "il n'y a pas d'examen de passage, il n'y a pas de redoublants".

Au fil des 137 pages du "Roi se meurt", le Roi oublie de mettre ses pantoufles, Juliette, la bonne, ne trouve pas le temps de nettoyer le living room, les deux Reines - telles les incarnations des Vierges Folles et des Vierges Sages de la parabole - se chamaillent à qui mieux mieux. Et Eugène Ionesco file ses métaphores: le royaume se rétrécit, les murs du palais se fissurent, l'armée (ce qu'il en reste) se paralyse, et la chambre à coucher est envahie par les toiles d'araignées. Et à travers tout ce cirque, c'est une étourdissante méditation sur la mort et son cortège de peurs et de renoncements qui s'élabore sous les yeux du lecteur ébahi.

C'est noir, c'est drôle, ça grince, ça donne le vertige... et c'est à lire absolument! Car les hommes savent, et puis ils font comme s'ils ne savaient pas.
Vertigineuse chronique d'une mort annoncée 10 étoiles

Le ton est donné : le Roi va mourir à la fin du spectacle. Le roi est sur scène, mais il pourrait être vous et moi, ou n'importe qui.
Cette oeuvre de Ionesco ne traite pas tant de la mort que de l'acceptation de celle-ci, de la brutalité d'une sentence et des étapes qu'il nous faut franchir jusqu'à la résignation. Cette pièce est un combat singulier entre coeur et raison (symbolisés par les deux reines). Le médecin est l'oiseau de mauvais augure, aux annonces pernicieuses. Juliette, la femme de chambre, symbolise les sujets du roi, le peuple. Le garde est sans caractère propre.

La première surprise passée, le Roi nie, refuse, se soustrait à cette annonce. La légère Marie, reine favorite, frivole et insouciante, l'encourage dans cette dénégation. La reine Marguerite, véritable conscience du souverain, s'oppose et lutte, dressant un mur de froide logique devant chaque dérobée royale.
Puis vient la révolte née de l'impuissance. Le Roi est en colère, se cabre, tempête. On ne lui obéit déjà plus, le royaume est en friche, la population déserte les champs et les villages, l'autorité du Roi faiblit. Il assiste, démuni, à la fin de son règne. Ni le garde ni Juliette, ni même Marie ne peuvent répondre à ses ordres. Le Roi n'est plus.
L'ultime étape est la résignation. Accablé, sanglotant comme un enfant, en proie à la peur, le roi finit seul sur la scène sombre, après que tous les personnages aient quitté progressivement la scène au cours de la pièce, de même que les éléments du décor disparaîtront peu à peu.
Marguerite est la dernière protagoniste à se retirer. Elle prodigue ses derniers conseils au Roi et le guide vers sa mort.

"Tu vas mourir à la fin du spectacle". Oui, la mort est décrit telle un spectacle. Chaque mort est un monde qui s'efface. Cette oeuvre de Ionesco, riche de symboles, dépeint la mort comme une violence, surgissant sans prévenir, sournoise et brusque, ne nous laissant aucun temps de préparation malgré son inéluctabilité et la conscience que nous en avons. Nous repoussons l'éventualité de l’événement, il nous rattrape brutalement et éteint notre univers d'un souffle qui dure le temps de la pièce.

SidonieLasalle - - 50 ans - 8 août 2012


Une belle allégorie 8 étoiles

Cette pièce de Ionesco, très courte, propose une vraie belle allégorie de la mort, très pertinente je trouve, en particulier dans les scènes finales.
Il y a encore des passages obscur pour moi dans cette pièce, et je vais de ce pas lire des commentaires et des analyses pour parfaire ma compréhension d'un texte dont j'ai senti la richesse sans pour autant la comprendre parfaitement à la première lecture! Ce que j'en ai compris m'a ébahi.

Soldatdeplomb4 - Nancy - 35 ans - 23 mars 2009


Une révélation 10 étoiles

J'avais, du théâtre de Ionesco et Beckett, un préjugé défavorable, hérité de mes années d'humanités. A cette époque, j'avais de ce type d'oeuvre une opinion très négative : en clair, c'était du grand n'importe quoi.

C'est peut-être l'opinion de l'inexpérience ou celle d'un adolescent qui naïvement croit que la vie ne fait que commencer et que le spectre de la mort n'est finalement qu'une chimère lointaine qu'il convient d'ignorer superbement.

Quelques années plus tard, la lecture du "Roi se meurt" sonne comme une évidence. La mort est là, elle rôde, et rien ni personne ne s'en soustraira. Les défenses que l'on met en place pour s'en protéger ne sont qu'artifices, il en va aussi de l'argent, du pouvoir, de l'admiration des autres. Pourtant, on veut vivre. Encore. Une oeuvre finalement très lucide, très désespérante et très drôle. Très humaine en somme.

Fa - La Louvière - 49 ans - 27 janvier 2009


L'absurde à son meilleur 10 étoiles

La finale la plus réussie des pièces de théâtre d’Eugène Ionesco, la plus visuelle.

Même avec un sujet délicat, la mort, j’ai ri du début à la fin. En général, pour que j’aime un texte, il faut que j’aime les personnages. Ici, je les ai trouvé attachants, loufoques et extravagants à souhait. J’ai adoré, le texte, tout.

Mon préféré d’Ionesco.

Nance - - - ans - 20 décembre 2007


Surréalisme morbide 9 étoiles

Le roi se meurt. Et avec lui, un royaume, un pays, une époque, une civilisation, toute une réalit. A moins qu'il ne s'agisse des illusions, des rêves, de l'utopie... tout cela s'effondrant en même temps que le roi pousse son dernier soupir.
Enormément d'humour, de vivacité et de surréalisme dans ce texte théâtral de Ionesco, qui se lit avec autant de plaisir que celui d'être vu.
A travers le côté drôle de cette pièce, c'est une intéressante réflexion sur nos fausses certitude qui se dessine. Un repère s'ébranle et nous perdons pied. Le pilier de l'autorité prend l'eau et c'est la noyade assurée. Nous le savons, mais préférons vivre dans de fausses garanties, aveugles que nous sommes lorsque nous devons prende nos destinée en mains et la diriger comme il se devrait. Mais quelle serait la norme à respecter? Aucune, pas d'absolu, si ce n'est la volonté de penser que nous sommes nos maîtres, alors qu'il n'en est rien. Un texte magistral, un des meilleurs de l'auteur à mes yeux.

Sahkti - Genève - 50 ans - 15 avril 2006


Un assez humour noir... 8 étoiles

... et assez désespéré. Les amis de Nicolas Baverez pourraient s'en servir d'allégorie.
Il y a, comme d'habitude, des répliques assez drôles. C'est assez réussi.

Veneziano - Paris - 46 ans - 13 janvier 2006


" La cérémonie commence" 8 étoiles

Voici une pièce que je conseille ! je l'ai vraiment adoré ! Comédie très burlesque!D'emblée le roi sait qu'il va mourir.Le décor lui-même meurt en même temps que le personnage. Au travers de cette comédie burlesque, Ionesco traite le sujet de l'angoisse de l'homme face à la mort c'est grinçant comme pièce , et met l'homme face à une évidence qu'il ne peut fuir !

en voici un extrait:

Le Roi Bérenger 1er va mourir. A ses côtés se tiennent sa première épouse, la Reine Marguerite et sa deuxième épouse, la Reine Marie, ainsi que le Médecin, Juliette, femme de ménage et infirmière, et un vieux garde.
La scène représente la salle du trône, "vaguement délabrée". Au milieu du plateau, le trône du Roi. De part et d'autre de la scène, deux trônes plus petits qui sont ceux des deux reines. Dans le coin du plateau, un fauteuil de malade, à roulettes et dossier avec couronne et insignes royaux, une bouillotte et une couverture Le Roi se tient péniblement debout, le sceptre à la main.)
LE MÉDECIN. - Il étouffe.
MARGUERITE.- La peur lui bouche l'horizon.
MARIE.- Laisse-toi inonder par la joie, par la lumière, sois étonné, sois ébloui. L'éblouissement pénètre les chairs et les os comme un flot, comme un fleuve de lumière éclatant. Si tu le veux.
JULIETTE.- Il voudrait bien.
MARIE, joignant les mains ; ton des supplications. - Souviens-toi, je t'en supplie, de ce matin de juin au bord de la mer, où nous étions ensemble, la joie t'éclairait, te pénétrait. Tu l'as eue cette joie, tu disais qu'elle était là, inaltérable, féconde, intarissable. Si tu l'as dit, tu le dis. Cette resplendissante aurore était en toi. Si elle l'était, elle l'est toujours. Retrouve-la. En toi-même, cherche-la.
LE ROI.- je ne comprends pas.
MARIE.- Tu ne te comprends plus.
MARGUERITE.- Il ne s'est jamais compris.
MARIE.- Ressaisis-toi.
LE ROI.- Comment m'y prendre ? On ne peut pas, ou bien on ne veut pas m'aider. Moi-même, je ne puis m'aider. 0 soleil, aide-moi soleil, chasse l'ombre, empêche la nuit. Soleil, soleil éclaire toutes les tombes, entre dans tous les coins sombres et les trous et les recoins, pénètre en moi. Ah ! Mes pieds commencent à refroidir, viens me réchauffer, que tu entres dans mon corps, sous nia peau, dans mes yeux. Rallume leur lumière défaillante, que je te voie, que je te voie, que je te voie. Soleil, soleil, me regretteras-tu ? Petit soleil, bon soleil, défends-moi. Dessèche et tue le monde entier s'il faut un petit sacrifice. Que tous meurent pourvu que je vive éternellement même tout seul dans le désert sans frontières. Je m'arrangerai avec la solitude. je garderai le souvenir des autres, je les regretterai sincèrement. Je peux vivre dans l'immensité transparente du vide. Il vaut mieux regretter que d'être regretté. D'ailleurs, on ne l'est pas. Lumière des jours, au secours !
LE MÉDECIN, à Marie.- Ce n'est pas de cette lumière que vous lui parliez. Ce n'est pas ce désert dans la durée que vous lui recommandiez. Il ne vous a pas comprise, il ne peut plus, pauvre cerveau.
MARGUERITE.- Vaine intervention. Ce n'est pas la bonne voie.
LE ROI.- Que j'existe même avec une rage de dents pendant des siècles et des siècles. Hélas, ce qui doit finir est déjà fini.
LE MÉDECIN.- Alors, Sire, qu'est-ce que vous attendez ?
MARGUERITE.- Il n'y a que sa tirade qui n'en finit plus.

Ice-like-eyes - nantes - 40 ans - 2 juin 2005