Le tour de valse
de Denis Lapière (Scénario), Rubén Pellejero (Dessin)

critiqué par Fee carabine, le 9 décembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un chef-d'oeuvre!
J'avais beaucoup aimé "Un peu de fumée bleue" de Denis Lapière et Ruben Pellejero (déjà critiqué sur le site), une histoire d'amour tragique, condamnée par l'oppression d'une dictature et nimbée de fumée et de poésie. Et Denis Lapière et Ruben Pellejero viennent de récidiver et même de se surpasser, avec ce bouleversant "Tour de valse".

Denis Lapière nous conte une histoire toute simple, celle d'une famille ordinaire en U.R.S.S., entre 1933 et 1953. Kalia et Vitor s'aiment, se marient, ont deux enfants, sont séparés dans la tourmente de la deuxième guerre mondiale. Ils ont le bonheur de se retrouver sains et saufs à la fin du conflit, mais leur bonheur sera de courte durée. Vitor est arrêté sur base d'une dénonciation et envoyé au goulag pour dix ans. La machine à broyer les hommes commencent son office, la faim, le froid, le travail éreintant, les exécutions arbitraires, et pour les travailleurs les plus méritants, une fois par mois, le "tour de valse" - deux heures d'oubli pour des hommes et des femmes exceptionnellement réunis dans un même baraquement où "il n'y avait ni musique, ni lumière tamisée, ni alcool, ni cigarettes. Juste la sueur, des souffles courts, quelques plaintes et quelques rires." Deux heures d'oubli permettant aux prisonniers de s'évader de leur implacable quotidien, ou au contraire, deux heures d'oubli les privant encore un peu plus de leur humanité, tel un "singe qui tente d'imiter l'homme qu'[il] était avant", qui peut le dire? Un scénario d'une grande force, et un texte réduit à l'épure, sans un mot inutile.

Quant au dessin de Ruben Pellejero, il est tout simplement magnifique, admirablement servi par un trait très expressif et une extraordinaire palette de couleurs: les teintes neutres et la grisaille du quotidien de Kalia plongée dans une interminable attente, l'écarlate des pages consacrées à la guerre, la blancheur aveuglante de la neige et l'obscurité qui baigne les scènes du goulag. Certaines cases sont si belles et si "justes", que les mots manquent pour les décrire. "Le tour de valse" est une oeuvre très sombre, mais qui est parcourue par une étincelle d'espoir, illuminée d'un bout à l'autre par l'immense tendresse que Ruben Pellejero confère aux traits de Kalia.

En un mot, superbe!
l'amour derrière les barbelés 8 étoiles

La période communiste a décidément le vent en poupe en bande dessinée (réminiscence involontaire de la Révolution d'octobre 1917 ?). Après "une jeunesse soviétique" de Maslov (Denoël), "Mattéo" de Gibrat et Lady S.de Van Hamme et Aymond (Dupuis), voilà donc Lapière et Pellejero qui nous content la face cachée du socialisme à visage inhumain. Avant tout, j'ai acheté cette BD au vu de la couverture, une des plus belles je crois de la BD . Si le titre "Le tour de valse" invite plutôt à la quiétude et au plaisir, la réalité décrite par les deux auteurs est bien différente : la vie brisée d'une famille, le destin d'une femme à la recherche d'un mari, emprisonné dans un camp, dans les années 50. (le thème m'a d'ailleurs fait songer à "résurrection" de Tolstoï). J'ai beaucoup aimé le dessin : visages ronds, simples, des couleurs superbes. Une belle histoire d'amour, bien mise en scène. Encore une réussite pour la collection "Aire Libre".

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 9 septembre 2011