Le Royaume enchanté de Russell Banks

Le Royaume enchanté de Russell Banks
(The Magic Kingdom)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Poet75, le 11 mars 2024 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (42 047ème position).
Visites : 925 

L'ultime roman de Banks

Roman ultime, publié peu avant la mort de Russell Banks survenue le 7 janvier 2023, Le Royaume enchanté se propose comme une confession que recueillit l’auteur, confession non pas écrite mais enregistrée sur une quinzaine de bandes magnétiques par un dénommé Harley Mann, âgé alors de 81 ans. Autrement dit, usant d’un procédé littéraire qui, en soi, n’est pas très original, Russell Banks prétend n’être que le transcripteur des paroles énoncées de vive voix par quelqu’un qui avait préféré s’enregistrer lui-même plutôt qu’écrire. Personne n’est dupe, bien entendu, mais cela importe peu.
Ce qui compte, c’est le contenu de la confession de ce dénommé Harley Mann, confession qu’il fait remonter à ses années d’enfance, d’adolescence et de prime jeunesse, au début du XXe siècle. Membres d’une communauté de Ruskinites, colonie socialiste utopique, la mère, les 3 frères (Pence, son frère jumeau, et les cadets, jumeaux eux aussi, Royal et Raymond) ainsi que sa petite sœur Rachel et Harley lui-même furent contraints de quitter leur communauté idéaliste, alors que le père venait de mourir, pour, pendant quelques mois, trouver refuge à la plantation Rosewell. « Trouver refuge » n’est d’ailleurs pas l’expression qui convient, car ils vécurent, ils subsistèrent plutôt, dans ce lieu comme s’ils étaient en enfer, les travailleurs y étant traités comme s’ils étaient des esclaves.
On le comprend, dès qu’ils le purent, ils s’échappèrent de cette plantation de cauchemar pour rejoindre, en Floride, une communauté en apparence beaucoup plus paisible, celle de la Nouvelle-Béthanie, établie en un territoire qui devint, plus tard, le « royaume enchanté » de Disneyland. Mais déjà, à l’époque de la Nouvelle-Béthanie, par contraste avec l’horreur subie à la plantation Rosewell, ce lieu semblait un paradis. Celles et ceux qui vivaient là appartenaient à la communauté des Shakers, communauté chrétienne fondamentaliste dont la fondatrice, Mère Ann Lee, fut considérée par les adeptes comme une deuxième apparition de Jésus sur la terre (et qui règne au ciel, depuis sa mort en 1784 !).
Le roman se propose donc comme une immersion dans cette secte chrétienne, une parmi tant d’autres dans un pays comme les États-Unis. Une des particularités de ce groupe, et pas la moindre, c’est que ses membres se devaient d’observer la continence totale, autrement dit de ne pas avoir de relations sexuelles avec qui que ce soit. Pour se renouveler, les Shakers ne pouvaient donc compter que sur la conversion de nouveaux membres. La vie en communauté y était pratiquée de façon stricte, au point même que les enfants, quand il y en avait, étaient séparés de leurs parents pour être élevés par des membres choisis pour ce service. Chacun était tenu à participer à la vie et au travail de la colonie, en fonction de ses capacités et, éventuellement, de ses aspirations. La colonie de la Nouvelle-Béthanie était gouvernée par deux membres qu’on appelait les Aînés : en l’occurrence, Aîné John et Aînée Mary.
Cela étant dit, ne l’oublions pas, le roman de Russell Banks est écrit sous forme de confession, celle d’Harley qui, de bande magnétique en bande magnétique, raconte non seulement la vie quotidienne chez les Shakers, le travail qui lui fut confié (l’apiculture), les périls que dut affronter la communauté (cataclysmes météorologiques ou formations de dolines, la terre s’effondrant, par endroits, au point de créer des cratères qui engloutissaient tout), mais aussi comment, en partie par sa faute, la colonie fut soumise à une crise qui lui fut fatale. Alors qu’il n’avait que douze ans à son arrivée à la colonie, Harley fut, en effet, fascinée, dès la première rencontre, par Sadie Pratt, une jeune fille bien plus âgée que lui (elle avait alors dix-neuf ans). Sadie n’était pas une Shaker, mais une malade de la tuberculose résidant, au début du récit, dans un sanatorium, et venant, fréquemment, rendre visite à la communauté de la Nouvelle-Béthanie où elle était accueillie avec chaleur, l’Aîné John et l’Aînée Mary espérant sans doute sa conversion prochaine.
Or, la fascination exercée par Sadie sur Harley ne cessa de grandir au fil des années et des divers événements qui, parfois, ébranlaient la communauté. C’est, en vérité, sur la base de cette passion amoureuse et, bientôt, charnelle, que Russell Banks s’emploie, au moyen de la supposée confession tardive de Harley, à détecter les hypocrisies des uns et des autres, à mettre à nu l’idéalisme mensonger de rêveurs et d’utopistes qui voudraient bâtir un monde soi-disant idéal sans tenir compte des besoins de la nature humaine. Car, si Harley reconnaît avoir lui-même été menteur, la vérité, c’est qu’il n’était pas seul à vivre en hypocrite. Dans une société qui se targuait de prohiber toute pratique sexuelle, elle était même, pourrait-on dire, fatidique. La passion de Harley pour Sadie finit par faire imploser le système, apparemment si bien ordonné, des Shakers, sur les ruines duquel se construisit, rappelons-le, un peu plus tard, le royaume, enchanté peut-être mais en toc, de l’empire Disney !

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Intéressant mais dans la plus pure tradition du roman américain

5 étoiles

Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 11 septembre 2024

Un thème intéressant et enrichissant sur les communautés américaines et les grandes plantations, exploitant chacune à leur façon la situation de personnes défavorisées.
On y apprend beaucoup de choses sur ces communautés qui ne sont en fait que des sectes plus ou moins fermées.
En ce qui concerne les personnages, les dirigeants de la secte ont bien définis et représentatifs de ce type de fonctionnement : ouverts pour mieux accueillir et ensuite mieux capter dans le mouvement. A noter toutefois que, dans cette secte spécifique, les membres ont toute liberté de partir... en n'emmenant que ce qu'ils avaient avec eux et donc sans aucun retour pour le travail qu'ils ont fourni.
Sadie, jeune femme tuberculeuse, est acceptée dans une annexe créée et gérée par cette communauté.
Harley illustre l'enfance dans ce milieu tout à la fois accueillant et endoctrinant, Pour cette communauté au puritanisme extrême la conduisant irrémédiablement à l'extinction, du sang neuf apportant une réelle capacité de travail gratuit n'a pas de prix, quitte à fermer les yeux sur une absence de conviction religieuse.

C'est à partir de là que les choses se gâtent. Les relations amoureuses que suscite cette jeune femme répondent aux critères de tout roman américain : la grandeur d'âme calquée sur des lignes morales affichées, derrière lesquelles se cachent les éternelles turpitudes de ces romans.
Le personnage de Harley, intéressant quand il s'interroge au cours de son enfance puis au fil de son début d'adolescence, devient par la suite abject et inintéressant car répondant alors à la nécessité de la dramatisation incontournable.

Après la forme, le fond.
Il est indéniable que Russel Banks sait joliment écrire mais il est tout aussi évident qu'il se fait plaisir en s'étendant sur certains passages descriptifs... longuement... très longuement... trop longuement au point d'en devenir ennuyeux. N'oublions les répétitions des descriptions des marécages, du travail, de l'espace de la communauté.

Autre aspect très agaçant, mais révélateur du concept américain, cette reprise, à plusieurs fois, de l'histoire elle-même. On a l'impression de voir une série américaine. Des fondus au noir, pour les passages de pub beaucoup plus fréquents aux Etats-Unis, après lesquels l'histoire est à résumer afin de permettre au téléspectateur de retrouver le fil.

Quant à l'émergence du parc Disney World dont il est fait mention dans la quatrième de couverture, ce n'est là qu'un appât marketing car seul le nom est évoqué dans quelques très rares paragraphes. Si je comprends bien le titre qui veut nous montrer sur quoi a été bâti ce "Royaume enchanté" de Disney, c'est une arnaque commerciale.

En conclusion, votre plaisir est dans les belles phrases : vous pouvez trouver votre bonheur.
Votre plaisir est dans les récits riches, denses : vous pouvez tenter l'expérience mais en survolant pas mal de passages.

Ce roman est à l'image des films actuels de plus de deux heures qui gagneraient en efficacité en effectuant la coupe des passages n'apportant rien à l'histoire ou se répétant en réussissant le tour de force de n'être cependant pas explicites.
Ce n'est pas ce roman qui me réconciliera avec le roman américain.

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