La pipe cassée, poème épi-tragi-poissardi-héroi-comique: suivi des Dialogues du carnaval
de Jean-Joseph Vadé

critiqué par Froidmont, le 8 mars 2024
(Laon - 33 ans)


La note:  étoiles
"Poème épitragipoissardihéroïcomique" et tout est dit
« Je chante sans crier bien haut,
Ni plus doucement qu’il ne faut,
La destruction de la Pipe
De l’infortuné la Tulipe. »

C’est un poème parodique qui, singeant le mode héroïque, raconte des prises de bec, des échanges de propos secs, des bousculades et des gnons, nombreux crêpages de chignon entre ce qu’on peut appeler des cassos des siècles passés.
Un scénario peu transcendant qui se divise en quatre chants d’environ 10 pages chacun. Cet exorde l’annonce bien, mais cette annonce est un mensonge. Remplacez « pipe » par « éponge » et rien ne change dans l’histoire, car le point central qu’il faut voir n’est pas le destin de la pipe mais la famille qui s’agrippe un peu pour un oui pour un non, s’emportant plus que de raison.

« Dame, quand t’auras des enfants,
Pour qu’ils soyons honnêtes gens,
Devant eux faudra pas se battre,
Jurer ni boire comme quatre,
Ni riboter aveuq s’t’ici
Pour faire enrager ton mari,
Tu m’entends ben, pas vrai ?… Sans doute,
Dit Manon, et si j’vous écoute,
Ma foi, c’est que je le veux ben,
Avec vos beaux sermons de chien,
Semble-t-’y pas qu’on vous ressemble ?
Allez, quand on za peur on tremble.
Quoi, dit la tante, cul crotté,
T’as ben de la glorieuseté !
Tu n’es qu’une petite gueuse !
Ta mère était une voleuse !
Et ton père un croc … Parle donc,
Dit Margot, diable de guenon !
Défunts mon cousin, ma cousine,
Etiont près de toi de la farine,
Creuset à malédiction !
T’as donc l’enfer en pension
Dans ta chienne d’âme pourrie ?
Vieille anguille de la voirie ! »

Toutefois si les premiers chants forment un duo bien seyant, le troisième et le quatrième ne fonctionneront pas de même. Le troisième est un épisode, toujours sur l’héroïque mode, qui se passe en vente aux enchères. Ces dames se donnent des airs, veulent passer pour des bourgeoises, or leurs trois volontés se croisent sur les mêmes biens aux enchères. Et de nouveau les poissonnières font entendre leur verbe haut pour tout pardonner aussitôt. Le quatrième, quant à lui, montre Manon prendre mari ; et c’est au cours de cette noce où s’échangent des coups féroces que la pipe vient à casser. L’annonce était pour plaisanter, car c’est limite un accident dont l’effet n’est pas important.

Dans l’ouvrage le plus gênant, c’est cette appellation de « chant », car il communique l’idée que l’ensemble a une unité. Or la preuve est faite au-dessus qu’on trouve dans son contenu en tout et pour tout trois récits. Si le mot sert la parodie, il fallait être résolu et faire un récit continu.

Autre point tout aussi gênant, et même bien plus en un sens, c’est l’écriture des dialogues. Ils aboient tels des bouledogues et il est parfois difficile tant tous ont le répons facile de savoir qui prend la parole, de distinguer tel ou tel rôle. Une simple ponctuation, doublée d’une menue mention, eût empêché un tel problème.

Malgré tout, ce texte je l’aime ! Quelques vers y sont certes faux et il cumule les défauts, mais il m’amuse vivement ! Je me gausse de voir comment cet octosyllabe des rois et des plus illustres combats s’accommode bien de la boue, du bar crasseux et de la soue, de voir que le parler poissard ordinaire de ces grognards a ses entrées en poésie et fait vibrer la lyre aussi.