Essai et lettre sur la tolérance , Traité du gouvernement civil
de John Locke

critiqué par Froidmont, le 21 avril 2024
(Laon - 33 ans)


La note:  étoiles
Soyons frères ! Mais touche pas à ça, c'est à moi ...
Essai et lettre sur la tolérance

L’Église a ses propres quartiers, gère la vie spirituelle ; l’État, lui, s’en tient éloigné, protégeant la vie temporelle. Chacun observe son domaine et chacun y fixe ses lois ; le prêtre qui promeut la haine, seul tombe aux mains du magistrat ; c’est de cette saine scission que peut naître la tolérance. L’État observe sa mission : protéger les appartenances, et pour peu qu’une religion n’affecte en rien ce droit civil, on tolère son expression, à condition que son concile tolère les autres croyances sans nuire en rien à ses fidèles, ne force par des manigances la foi à être telle ou telle.
A quoi bon forcer le salut si prier ne vient pas du cœur ? Dieu ne peut être en rien ému par la prière d’un menteur. Tolérons donc l’essai de l’autre, qu’il suive ainsi sa propre voie, écoute ses propres apôtres et observe ses propres lois, du moment qu’en tout il se plie aux lois, édits du gouverneur ; si le salut lui est ravi, ce n’est jamais que son erreur.
Par contre l’athée est odieux car il n’a pas soin de son âme et ne reconnaît aucun Dieu qui la puisse juger infâme. Comment croirait-on la parole, les promesses et les serments que nous ferait un pareil drôle qui n’est en aucun cas conscient de risquer en étant parjure une damnation éternelle ? Le tolérer est une injure, un risque énorme et démentiel !

La pensée reste assez moderne. Locke décrit avec justesse ce qui encore me consterne, comment l’idéologie presse et pèse sur les religions, comment l’intolérance gagne et se déchaîne en des passions tant au civil avec le bagne que dans la foi par le bûcher. C’est ainsi qu’il érige en loi utile à la stabilité la tolérance pour les fois.
Par contre je m’inscris en faux contre ce rejet de l’athée, car il implique par ces mots qu’un des pieds de l’humanité, la morale, est fait religieux. Erreur complète, monsieur Locke ! S’il est vrai que la foi des dieux a bien remué comme un soc le terreau de notre morale, elle reste un fait politique, car la religion, c’est fatal, a structuré aux temps antiques les primes constructions sociales. Elles étaient donc politiques, légiféraient tant bien que mal en sociétés théocratiques. Ce n’est pas du fait religieux qu’est le besoin d’une morale, c’est la société qui le veut : la morale est un fait social. Dès lors si notre athée ne croit que la damnation éternelle l’attend d’avoir outré la croix, pour autant il n'est criminel, car il est un sujet social et mentir blesse tout autant sa propre conscience morale ; or le religieux aussi ment.



Traité du gouvernement civil

Les Hommes ont fait un contrat pour sauver leurs propriétés, élevés des remparts de lois qu’ils ont appelés société. Ainsi durant les temps antiques il quitta l’état de nature pour un état plus politique, non pour le goût de l’aventure mais pour respecter au plus près la première loi de Nature : la conservation de santé, éviter les coups, les blessures, et garantir des autres mains ce que ses efforts ont gagné : la loi punira les humains qui lèsent la propriété.
Mais pour que fonctionne au dedans une telle construction, il faut que tous les dirigeants subissent la législation. L’autorité législative est le Pinacle de l’État, or qu’une entité subversive puisse se dérober aux lois fragiliserait le contrat et jetterait à molle allure tout un peuple contre son roi, l’un l’autre en état de nature. Ainsi le monarque absolu s’avère être un non-sens civil : son pouvoir doit être tenu et exercé en homme habile sous le contrôle vigilant de l’assemblée législative qui pourra le cas échéant reprendre ces prérogatives.
Il faut séparer les pouvoirs pour limiter les ambitions, que chacun fasse son devoir, respecte la législation pour que le contrat tienne bon, contente tous les contractants. La monarchie par élection semble à Locke le meilleur plan.
Et si l’agression vient d’ailleurs, que la loi ne peut rien pour nous, c’est au pouvoir fédérateur de rendre à l’étranger les coups, car pour Locke tous les pays sont dans un état de nature puisque aucune loi établie n’affecte la magistrature ou l’individu d’un État qui nous est voisin ou lointain, et seul l’état de guerre aura la force au nom du citoyen.

C’est une pensée cohérente et qui se tient dans tout l’ouvrage. Elle m’est pour beaucoup plaisante, mais les détails de quelques pages m’arrachent des soupirs lassés doublés d’un haussement des yeux tant ils ont de naïveté d’un fondement tout religieux. Expliquons-le par un exemple : selon la loi de la Nature, le corps humain est comme un temple qui se préserve des blessures ; c’est méconnaître le suicide ou le sacrifice héroïque ; on verrait en féminicide, si nous suivons cette logique, l’idée de la procréation car la santé est affaiblie tout au long de la gestation, et qu’on peut y laisser la vie. D’autres encore que je passe, un seul peut-être que j’ajoute : prenons un homme qui trépasse par la faim au bord d’une route. Il voit passer un voyageur qui range dans son sac des pommes qu’il a acquis par son labeur. Logiquement notre pauvre homme, si le voyageur lui refuse accès à sa propriété, devrait par violence ou par ruse pour survivre s’en emparer. En mangeant le fruit du larcin, il suit les lois de la Nature en même temps qu’il les enfreint : quoi qu’il fasse il est en pâture ! Imaginons donc à présent que le voyageur l’expédie au royaume du Tout-Puissant pour le crime qu’il a commis. Locke lui reconnaît son droit de punir ainsi le voleur, même s’il vit dans un État et malgré les législateurs. Ne dirait-on pas que c’est mettre la victime au-dessus des lois que de lui accorder peut-être le luxe d’occire de droit ? Qu’on soit dans l’état de nature ou bien dans l’état politique, peut-on accepter l’abatture pour un vol, n’est-ce pas inique ? Le libéralisme lockien rend sacrée la propriété au détriment de l’être humain, mode de pensée bien anglais.
Achevons ici la critique en parlant du style de Locke. Point de phrase qui semble étique, ou tellement peu qu’on s’en moque, mais un parler de philosophe en lourdes périodes usantes, qui anticipe et apostrophe un « on » caché sous une mante. C’est lourd, pesant, répétitif et inutilement brumeux, quelques fois humain, expressif, mais le plus souvent sentencieux. Il manquerait à cet anglais quelques qualités littéraires : il y gagnerait la clarté aux philosophes nécessaire.