Un été avec Don Quichotte
de William Marx

critiqué par Poet75, le 14 mai 2024
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Mille et une facettes de l'ingénieux hidalgo
L’excellente collection issue des émissions estivales de France Inter s’enrichit d’un volume sur don Quichotte. Après Montaigne, Proust, Baudelaire, Pascal, Rimbaud, Colette et d’autres écrivains, c’est un personnage de fiction qui est, cette fois-ci, à l’honneur, autant que son créateur (dont il est beaucoup question, évidemment, dans le livre), Cervantès. Mais c’est bien don Quichotte en personne qui est au cœur de cet ouvrage, lui qui, précisément, livré à son imagination fertile, inventa ses propres aventures, aidé, il est vrai, par la complicité et la ruse de son fameux écuyer Sancho Panza.
Le livre de William Marx, composé de chapitres courts, abonde en réflexions intéressantes et judicieuses qui mériteraient toutes d’être creusées et approfondies davantage. Mais cet ouvrage invite précisément à lire ou relire les aventures de l’ « ingénieux hidalgo » pour, à la lumière des remarques proposées par William Marx, en mieux décrypter tous les ressorts plus ou moins cachés.
De ce point de vue, le livre de William Marx est précieux. Ce dernier ne se contente pas de nous expliquer que le roman de Cervantès, composé et enrichi à plusieurs reprises jusqu’à dépasser mille pages alors qu’il ne devait s’agir, au départ, que d’une nouvelle, que ce roman donc est l’un de ceux qui sont considérés comme inventant le roman moderne, mais il nous montre aussi, avec pertinence, que, parmi les thématiques abordés dans le récit, nombreuses sont celles qui entrent en résonance avec notre contemporanéité. Ainsi trouve-t-on, au fil des aventures de don Quichotte, ce qu’on pourrait appeler des « défenses et illustrations » de la cause féministe comme de la cause animale.
De plus, comme l’explique fort bien William Marx, il y a, sans nul doute, sous-jacente à l’œuvre de Cervantès, non seulement quelques références cachées à la théologie catholique, mais surtout une critique implicite des idées religieuses de son temps ainsi que du fonctionnement de l’Eglise catholique. Bien sûr, Cervantès ne pouvait aborder ouvertement ces questions dans une Espagne au catholicisme intransigeant, voire despotique, mais il semble bien qu’il ait lui-même professé un agnosticisme un peu à la manière de Montaigne.
Bien d’autres réflexions de William Marx sont encore à retenir et à méditer, à commencer par tout ce qui relève de la propension à inventer un monde plutôt qu’à se contenter d’un réel qui semble dénué de signification, voire totalement absurde. Mais se refugier dans l’imaginaire a aussi ses revers et ses dangers et, par certains côtés, l’histoire de don Quichotte trouve des échos dans des expériences d’aujourd’hui, comme de s’évader dans des mondes virtuels ou de se complaire dans ce qu’on appelle, de nos jours, le complotisme. Don Quichotte exalte l’utopie tout en en signifiant l’extrême danger, car l’utopie peut conduire au pire. Mais don Quichotte prête aussi et surtout à rire plutôt qu’à pleurer et il n’a pas fini, ni de nous amuser ni de nous inspirer. Nombreux furent d’ailleurs les artistes qui donnèrent de ce personnage leur propre interprétation : Goya, Daumier, Picasso, Richard Strauss, Jules Massenet, Maurice Ravel, Orson Welles, Jacques Brel, Terry Gilliam, Salman Rushdie, Erri de Luca… Si don Quichotte se rêvait en chevalier, ce qui peut paraître aujourd’hui désuet, ses rêves et ses idéaux, eux, rejoignent ceux de notre temps.
Défendre ses idéaux et son excentricité 10 étoiles

Cet ouvrage court montre comment ce livre-phare de la littérature mondiale expose l'importance de défendre ses idéaux, quitte à passer pour ringard, dépassé, excentrique, extravagant, voire complètement toqué. Ici Don Quichotte déplore la disparition de la noblesse de chevalerie, pour regretter l'apparition de la noblesse de cour. C'est cette ligne de conduite qui le lance dans ses pérégrinations. Or son altération de la perception exacte des choses l'expose à mésaventures et déconvenues. Involontairement, il se fait la victime de farces. Il prête à rire, mais à espérer également.
Cet ouvrage synthétique est constitué de chapitres courts, riches e citations Il montre l'aspect enjoué de l'oeuvre, malgré sa longueur, la critique sociale larvée qu'elle contient, les messages subliminaux qu'elle porte, alors que tout ne peut pas être exposé dans une société aussi corsetée, peu ouverte à la tolérance et à la différence;
Voici qui fait rire et réfléchir, et ce n'est ps vain, loin de là. C'est à méditer, de surcroit en ces temps troublés.

Veneziano - Paris - 46 ans - 19 juin 2024