Ecolos, mais pas trop...: Les classes sociales face à l'enjeu environnemental de Jean-Baptiste Comby

Ecolos, mais pas trop...: Les classes sociales face à l'enjeu environnemental de Jean-Baptiste Comby

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Thaut, le 16 mai 2024 (Inscrit le 14 avril 2019, 30 ans)
La note : 10 étoiles
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Une réflexion sur les causes de l'inertie d'une société

Jean-Baptiste Comby tente dans ce petit livre touffu et ardu de remonter, au prisme de la sociologie, aux sources de l’incapacité collective de nos sociétés à adopter un mode de fonctionnement viable face au dérèglement climatique dont les effets se font chaque année plus clairement sentir.

L’ouvrage commence par l’observation que, malgré la diversité des mouvements écologistes politiques, un unique modèle surnage réellement ; « développement durable », « capitalisme vert », « croissance verte », on lui a dans les années précédentes donné plusieurs noms mais il n’a guère changé de ressort ; il s’agit d’écologiser des pratiques individuelles sans changer les modes de vie, malgré les nombreux avertissements des scientifiques sur l’urgence d’entamer ce réel changement.

Jean-Baptiste Comby essaie d’expliquer cette inertie des sociétés en remobilisant la notion de classe sociale. Il divise la société en trois : bourgeoisie, petite bourgeoisie (comprendre la classe moyenne) et classes populaires. Au sein de ces classes (déterminées par le niveau de revenus et de diplômes, dans le sillage de Bourdieu) se distinguent un certain nombre de fractions ; d’une part entre les versants culturels et économiques de la bourgeoise, d’autre part entre la caractère stabilisé ou précaire des classes populaires. Aucune selon l’auteur ne semble actuellement prête à soutenir une véritable transition vers un mode de vie écologique.

La bourgeoisie est en effet acquise à l’écologie dominante (réformatrice et non transformatrice), d’une part du fait de son ethos pondérateur, modéré par essence (on aimerait sur ce point intéressant que l’auteur développe), et d’autre part parce qu’elle y trouve un gain symbolique ; adopter des pratiques écologistes est socialement valorisant et permet d’affermir son statut dans la classe dominante ; aussi est-ce vu d’un bon œil, dès lorsqu’on en a les moyens. En revanche, une véritable transformation semble impensable pour ces strates sociales ; leur ethos pondéré condamne tout ce qui perçu comme de l’extrémisme, tandis que la même nécessité symbolique interdit d’aller trop loin dans une démarche écologiste ; par exemple, acheter une voiture électrique est une pratique adoptée par les classes supérieures (pratique qui relève typiquement d’une écologie réformatrice mais insuffisante) : cela leur permet d’augmenter leur capital symbolique sans passer pour extrémistes. En revanche, les mêmes personnes ne renoncent pas à recours abusif au voyage aérien ; les vacances en avion et les longs voyages sont en effet aussi une marque de leur statut ; y renoncer affaiblirait donc leur capital symbolique. Cette dynamique entraîne donc la généralisation d’une écologie « pas trop » écolo, qui donne son titre au livre, c’est-à-dire cette même écologie réformatrice qui ne connaît pas de rivale dans le domaine politique, malgré son insuffisance.

Comby précise bien qu’il ne s’agit pas de juger de la sincérité ou de l’hypocrisie des individus concernés ; il n’y a pas lieu de douter de la bonne volonté écologique de la grande majorité de ceux-ci. Au contraire, et on touche ici au véritable coeur du livre, l’auteur veut montrer en quoi les cadres de la socialisation (autrement dit, toutes les instances qui participent à la création de valeurs et qui nous font considérer telle ou telle chose comme un bien ou un mal, qui sera jugée comme tel par nos pairs) nous poussent mécaniquement à cette écologie entre deux eaux. Au fond, la question est celle-ci : pourquoi adhère-t-on sans problème à certaines pratiques écologiques quand d'autres sont rejetées sans hésitation ?

La classe de la petite bourgeoisie obéit globalement aux mêmes dynamiques que la bourgeoisie, bien que son versant culturel soit davantage sensible à des discours plus forts. De plus, aux marges de cette couche intermédiaire de la société apparaissent des idées écologistes radicales (mais rarement politisées) ou au contraire un rejet de l’écologie en général. Mais c’est à propos des classes populaires que le propos est le plus intéressant. C’est en effet là que l’on voit les pratiques – réelles – les plus significatives d’un point de vue environnemental ; mais ces pratiques, motivées par l’économie (véhicules moins polluants ou transports en commun, récupération et réparation, pas d’avion…), ne sont pas du tout utilisées pour capter un gain symbolique. Ces pratiques typiques des classes populaires ne sont donc pas valorisées socialement (le faible impact environnemental de ces pratiques n’étant parfois pas même venu à l’esprit de leurs auteurs, comme le montrent certains des entretiens réalisés pour ce livre), malgré leur impact aussi ou plus fort que celles des classes aisées (voiture électrique, légumes bio…). A l’inverse, les couches les moins aisées vont même bien souvent jusqu’à rejeter l’écologie, qu’ils perçoivent comme des surcoûts imposés. Le paradoxe s’épaissit encore lorsque l’on considère que ces couches de la population sont les premières victimes du désastre environnemental en cours : leur habitat est davantage touché par ses effets, et leur capacité à s’en protéger via par exemples des assurances est plus faible.

Autrement dit, notre socialisation doit être refondée car elle nous pousse à percevoir l’écologie et les pratiques écologiques d’une manière biaisée ; certaines de ces pratiques (les plus coûteuses, peut-être dans une logique de faste) sont valorisées statutairement tandis que d’autres subissent l’effet inverse. Il s’ensuit des pratiques bancales (souvent limitée à une écologie des petits gestes individuels) du point de vue environnemental, ainsi qu’une adhésion inégale, selon la catégorie sociale, de la population à l’écologie en général.

La méthode de l’auteur est fondée sur l’exploitation de données statistiques variées et précises, ainsi que sur des entretiens menés par l'auteur, dont on aurait aimé toutefois que l’analyse soit plus explicitement détaillée ; on a parfois l’impression de devoir croire sur parole l’auteur dans son interprétation de ces entretiens. On aurait aussi aimé, pour aller plus loin, que ces données de classes sociales soient croisées avec d'autres, comme le sexe ou l'âge. L’ensemble, malgré une conclusion qui m’a semblé quelque peu utopique (une alliance de la frange culturelle de la petite bourgeoisie, et des classes populaires, qui permettrait de refonder la manière dont notre société diffuse des valeurs – belle idée certes, mais on aimerait bien savoir comment la construire et Comby n’en dit pas grand-chose), est cependant intéressant et nourrit abondamment la réflexion.

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