L'amazone du Cirio
de Jacques Lefèbvre

critiqué par Débézed, le 17 mai 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Exode d'une jeune juive après la guerre
A Bruxelles, Antoine, employé dans un ministère, accueille sa collègue polonaise, Aurelia, ils boivent un verre dans une brasserie de la place de la Bourse où une vieille dame déguste un cocktail maison qu’ils décident de commander eux aussi. Aurelia propose à Antoine d’inventer une histoire à cette buveuse solitaire qui les intrigue un peu, elle dénote parmi la clientèle de la brasserie. Quand il raccompagne sa collègue à l‘aéroport, elle lui donne ses coordonnées et lui propose d’écrire cette histoire à quatre mains en précisant que l’héroïne s’appellerait Elsbieta et qu’elle serait une enfant juive née dans un village près de Nadwoda. Antoine songe immédiatement à cette fameuse chanson : « Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers … ».

Antoine commence donc cette histoire par le récit de la rafle des juifs de ce village par les SS. La fillette échappe aux sicaires d’Hitler grâce la promptitude de Bogena une femme seule, peu appréciée, cosaque ou tzigane, elle veut prendre l’enfant en charge. Antoine propose ses bouts de textes à Aurelia qui lui fait de nombreuses remarques pas toujours aimables. Elle conteste de nombreux passages. Ainsi peu à peu : dans la maison familiale d’Aurelia, dans l’appartement d’Antoine, par courrier, par mails, …, les deux amis échangent leur avis sur cette histoire, ses personnages, son intrigue et ses aléas, … Aurelia est encore en activité, Antoine est en fin de carrière, l’histoire devient de plus en plus celle d’Antoine écrite sous la férule d’Aurelia.

Ce texte c’est l’histoire d’une enfant juive adoptée de fait par une femme étrangère, mal reçue par la population, qui décide de prendre la route pour échapper aux troupes russes après avoir déjoué les velléités de celles d’Hitler. Bogena veut se rendre à Vienne après avoir traversé la Tchécoslovaquie, les deux femmes voyagent à pied avec un cheval pour compagnon. Après un long séjour dans la montagne où Elsbieta découvre la nature et l’amour grâce à Pavel, elle reprenne la route avec un groupe de juifs de Cracovie qui ne leur ressemblent en rien même si Elsbieta rencontre de nouveaux amis. C’est une nouvelle page d’histoire qui s’écrit à l’occasion de ce voyage initiatique.

Arrivées à Vienne, la fille et sa mère sont accueillies chaleureusement par des autochtones et quelque soldats américains qui les prennent en charge. Bogena travaille dans un café-restaurant fréquenté par les GI, Elsbieta reprend une scolarité qui a été bien maigre jusques là et puis devient serveuse dans le même établissement que sa mère. Elle y rencontre le propriétaire d’un manège de chevaux où elle peut monter et progresser dans la conduite de ceux-ci. Elle devient vite monitrice spécialisée dans la thérapie équestre à l’intention des enfants en difficulté avec les aspérités de la vie. Autour de ce café se crée progressivement une petite cellule presque familiale, Elsbieta rencontre dans cet établissement celui qui la demande en mariage et veut l’emmener dans son pays d’origine.

En écrivant l’histoire de cette petite juive qui a parcouru un long voyage pour échapper aux SS et aux soviétiques, Aurelia et Antoine racontent aussi celle de quelques juifs qui ont eu la chance de connaître le même sort et surtout de rencontrer les personnes qu’il fallait quand il le fallait et où il le fallait pour vivre une autre vie ailleurs. En écrivant celle histoire c’est aussi leur histoire qu’ils construisent en captant une partie de l’amour que leurs personnages donnent et reçoivent tout au long de cette longue aventure aussi historique pour le lecteur qu’initiatique pour la petite héroïne.

Antoine a réussi le défi proposé par Aurelia : « faire vivre une petite Juive dans une Europe centrale que vous, Occidentaux, connaissez mal », tout en construisant un amour auquel Aurelia pourrait succomber.