La garde de nuit
de Laurent Thinès

critiqué par Débézed, le 21 mai 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Soigner les soignants
Neurochirurgien dans l’hôpital qui domine le quartier où je réside, Laurent Thinès est aussi un remarquable poète dont j’ai déjà eu le plaisir de lire un autre recueil qui raconte ma belle région comme si elle était la contrée des Indiens. Dans cet autre recueil de poésie en prose que je viens de lire, Laurent Thinès évoque en cinq actes, comme à l’opéra, la vocation, les combats, les difficultés, la perte de la motivation et enfin l’espoir de retrouver un jour l ’esprit des soignants hospitaliers qui partent à la conquête de la maladie comme les Hospitaliers partaient, au Moyen-Age, soigner les pèlerins sur la route de Jérusalem. Ce texte est une véritable métaphore qui met en scène des personnels hospitaliers appelés à « l’ost » pour combattre la maladie sur le champ de bataille des corps en souffrance comme les Chevaliers Hospitaliers le faisaient sur la route des croisades.

Laurent Thinès, dit l’alerte qui secoue le soignant endormi profondément : « Au cœur de mes rêves, un écran s’embrase de bleu. Alors monte l’alerte ». Le chevalier enfourche son destrier et part à l’assaut de la Tour (le nom donné par les personnels à cet hôpital) pour sauver une autre vie encore. I se rue sur le champ de bataille pour un nouveau combat. « Ici, je suis chevalier Hospitalier, moine soldat, mercenaire, vassal, dans l’allégeance de la Tour ». Le combat, souvent gagné, est épuisant, les soignants luttent jusqu’à la limite de leurs forces sans grande reconnaissance ni considération de la part de ceux qui les dirigent. Et pourtant , ils demandent surtout des moyens à la hauteur des combats qu’ils doivent livrer. « Ici, c’est l’Enfer, jour après jour, depuis qu’ils ont coupé des ailes dans les hauteurs de la Tour ».

Alors quand la fatigue prend le dessus sur l’engagement et la foi en la mission, le chevalier soignant perd sa conviction et sa volonté en l’accomplissement de la mission qui est la sienne, une véritable vocation. « Imprudent funambule que je suis, en équilibre, toujours instable, sur le fil à couper le bord de ma vie tendue en travers du gouffre hospitalier ». La machine/hôpital broie les meilleurs volontés, décourage les plus forts engagements, épuise tous les soignants et sème le désespoir en une médecine meilleure. « …, sous les emblèmes d’Eros et de Thanatos réunis, la Tour domine tout : ses saigneurs et ses serfs, ses remparts et ses tourelles. … ».

J’ai beaucoup apprécié la poésie en prose de Laurent Thinès, son écriture très fluide, très expressive, malgré un sujet baignant dans la maladie, la douleur et la mort aussi. Son langage est à la fois très riche et plutôt simple à lire. Sa métaphore des Chevaliers Hospitaliers a comblé l’historien médiéviste que j’ai été et que je suis encore un peu. Dans un joli poème décrivant le panorama que l’on peut admirer du haut de la Tour Minjoz, l’hôpital où il travaille, on peut ressentir comme une pointe d’affection pour cette région qui n’est que sa région d’adoption, son terrain de combat, son champ de bataille contre la maladie, son lieu de souffrance mais aussi son lieu d’espoir pour une médecine moins démunie, mieux considérée et mieux dotée.

Le preux chevalier retrouvera peut-être la foi en la mission, la volonté de repartir au combat dans l’amour qu’il partage avec sa belle ? « Ressourcé de son amour, je remonte à l’essence de ma mission. Chevalier Hospitalier ».