Tumeur ou tutu
de Léna Ghar

critiqué par Lobe, le 6 juin 2024
(Vaud - 29 ans)


La note:  étoiles
Ghar ne ment
La violence attend dès le titre, à peine dissimulée. Tumeur ou tutu, c'est un choix, que ce premier roman de Léna Ghar fait un peu pour nous, au fil de chapitres brefs, électriques, inventifs. Il y est question d'une bizarrerie qui pourrait être une maladie - une monstre squatte le corps de Je, la narratrice, depuis son plus tendre âge. Une monstre innommable, plantée dans sa tête, sa gorge, sa chair.

Je déverse des choses à mesure qu'elle progresse en âge et en expérience, dans un vocabulaire singulier amassé sur son chemin miné. Les mots-trésors de sa petite enfance sont tout de suite contaminés par une violence sourde. Sa langue fourche et s'approprie des morceaux de phrase qui ont volé dans la praison, la maison-prison où sa mère rouge-colère persifle et signe. Léna Ghar s'est construit un "vocabulaire empoisonné", comme elle le dit en interview, détournant des expressions, déformant des mots, pour qu'on suive les contours de ce que peut être une maltraitenfance, et sa persistence.

Le pendant de la maladie, ce sont les traitements que Je se cherche, dans l'amour, les mathématiques, et les mots, surtout les mots. Boulimie de mots pour contrer ce qui ombre sa vie, pour cerner la monstre, traquer l'indice-cible, non pas tapie sous le lit mais recroquevillée derrière le canapé. Le livre est cette quête pour identifier ce quelque chose qui mord Je depuis l'an 3, quand s'ouvre le roman, jusqu'au moment où ce quelque chose la lâche, éventuellement, à l'an 3 + X, X appartenant à l'intervalle [23 ; 27]. Entre les deux, tant de trouvailles, et une lectrice (moi) prise entre les tenailles de l'inventivité d'une langue désarçonnante, désossant le réel.