Les Entrelacs
de Grégoire Leprince-Ringuet

critiqué par Poet75, le 6 juin 2024
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
De la musique avant toute chose
Grégoire Leprince-Ringuet a plus d’une corde à son arc. Nous l’avons connu et apprécié (et nous l’apprécierons sans doute encore) en tant qu’acteur, entre autres pour Bertrand Tavernier et Robert Guédiguian. Et puis, en 2016, il nous fit la surprise de jouer dans un film dont il était lui-même l’auteur et le réalisateur. C’était La Forêt de Quinconces dont les dialogues étaient écrits, en partie, en vers. Nous découvrîmes alors que Grégoire Leprince-Ringuet non seulement aimait la poésie mais la pratiquait. Le texte de La Forêt de Quinconces fut d’ailleurs publié aux éditions de l’Arche, ce qui me donna l’occasion de venir écouter son auteur et dialoguer avec lui à la librairie Le Merle Moqueur, rue de Bagnolet à Paris. Quelque temps après, furent mises en ligne des vidéos de Grégoire Leprince-Ringuet lisant et commentant des poésies de Paul Valéry, entre autres Le Cimetière marin (on peut trouver cela sur Youtube).
Les Entrelacs, le livre qui vient de paraître aux éditions « La rumeur libre », confirme de manière indiscutable le talent de Grégoire Leprince-Ringuet non seulement en tant que passionné de poésie mais en tant qu’auteur, et auteur dont on peut affirmer, étant donné la qualité de ce qu’il propose à notre lecture, qu’il ne se targue pas de poésie en simple dilettante (encore moins en rimeur du dimanche !). Non, nous avons affaire à un poète, vraiment, et à un poète qui se soucie peu des modes, préférant, plutôt que de proposer une énième variante de ce qu’on appelle le vers libre, se soumettre aux contraintes (en fin de compte, paradoxalement, bien plus libérantes) du vers régulier. Comme l’écrit fort bien William Marx dans sa préface, après avoir cité Paul Valéry, « la réversibilité de la contrainte et de la liberté est le grand mystère de la forme poétique régulière. Si je sacrifie à l’exigence de la forme, un autre monde en retour se crée, où tout est possible. »
Admirateur de Paul Valéry, de Charles Baudelaire, de Stéphane Mallarmé, Grégoire Leprince-Ringuet se garde cependant d’être un imitateur. S’il vénère, à juste titre, de tels poètes, parmi les plus talentueux de la littérature française, il n’en parvient pas moins, même quand il rend hommage à ses maîtres (Tombeau de Paul Valéry, Tombeau de Mallarmé) à trouver sa voix, sa musique propres. Le vers régulier n’est-il pas, presque par nature, musique justement. Rappelons-nous l’Art poétique de Verlaine : « De la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l’impair ».
Grégoire Leprince-Ringuet écrit en alexandrin, en octosyllabe mais aussi en vers impairs, précisément. Quant aux sujets qu’il aborde et au vocabulaire dont il use, c’est toujours sur un mode de liberté et, parfois, en créant la surprise. En poésie, il n’y a ni sujet ni vocabulaire interdits, dans la mesure où tout peut se changer en « musique ». Grégoire Leprince-Ringuet trouve son inspiration en contemplant les « jardins de l’hôpital sainte Anne » ou le jeu de Rafael Nadal, pourquoi pas ? Il surprend en entamant son recueil par un Épilogue, comme une invite à s’ouvrir à toute poésie :
« Votre âme ira longtemps se loger dans des têtes
Tout occupées de poésie
On y donne souvent de somptueuses fêtes,
Les invités ne sont choisis
Que parmi ceux qui croient aux fables des poètes…
Croyez-y, mortels, croyez-y ! »
On n’en finirait pas de dire les beautés et les subtiles mélodies de ces vers. Certains ont quelque chose de baudelairien (Papillons), d’autres célèbrent l’enfance (Premiers pas), la mer et les vagues ou, malicieusement, « la cire », celle qui, du temps d’Ulysse, servait à se protéger des enchantements des sirènes alors qu’aujourd’hui elle isole des bruits grossiers des gens ! Ou encore, ces beaux vers dans Le livre et l’enfant :
« J’aimais les myosotis et je croyais en Dieu
Car il était Celui qui colore et parfume.
Ayant pris fièrement Sa parole au sérieux
Je pardonnais toujours, sans garder d’amertume. »
Toujours et tout au long de ce recueil, Grégoire Leprince-Ringuet non seulement enchante mais surprend, interroge, parfois déstabilise. La poésie n’a pas pour fonction de nous abstraire du monde réel pour nous immerger dans le virtuel, comme le font tant de nos modernes distractions. Or, la poésie n’est pas distraction et elle n’est pas divertissement, au sens pascalien. Elle est un regard particulier sur le monde et elle est un regard qui fait voir le monde autrement, en « musique » ! Alors, n’hésitons pas ! Changeons nos regards ! Avec Grégoire Leprince-Ringuet, avec la poésie, laissons-nous habiter par « le chant du monde » !