Bernard Herrmann
de Karol Beffa

critiqué par Poet75, le 7 juin 2024
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Un compositeur de génie
Si le nom de Bernard Herrmann reste dans les esprits, c’est essentiellement pour avoir été le compositeur attitré d’Alfred Hitchcock durant une bonne dizaine d’années. Ils collaborèrent très exactement sur huit films, au nombre desquels on compte plusieurs chefs d’œuvre. Cela commença en 1955 par Mais qui a tué Harry ?, une comédie policière assez atypique dans la carrière d’Hitchcock. Il y eut ensuite L’homme qui en savait trop et Le faux coupable, puis une série de quatre chefs d’œuvre, Sueurs froides (Vertigo), La Mort aux trousses, Psychose et Les Oiseaux. Malheureusement, cette salve se poursuivit avec un film de moindre qualité, Pas de printemps pour Marnie. Enfin, en 1966, alors que Hitchcock devait tourner Le Rideau déchiré, ce fut la rupture entre les deux hommes. Il faut dire que, comme l’explique fort bien Karol Beffa dans son ouvrage, tous deux étaient habités par un même orgueil, une même ambition démesurée, un même autoritarisme et de mêmes angoisses. Étant donné la force et l’intransigeance de leurs caractères respectifs, on se demande même par quel miracle leur collaboration s’est maintenue durant autant d’années.
Cela étant dit, il serait fort injuste de limiter la carrière de compositeur de Bernard Herrmann aux dix années où il travailla (et avec quel brio !) pour Hitchcock. Le livre de Karol Beffa, lui-même compositeur, abonde en renseignements passionnants sur la vie et l’œuvre de Bernard Herrmann. Il nous fait découvrir un homme au caractère bien trempé et plein d’ambivalence : il pouvait se montrer charmant et charmeur comme il pouvait aussi se conduire comme un goujat et, chaque fois qu’il était contrarié, piquer des colères retentissantes. En tant que compositeur, il fut contrarié car, plutôt que de composer pour la radio puis pour le cinéma, il aurait aimé suivre les traces de ses musiciens de prédilection, Ravel, Debussy, Elgar, Vaughan Williams, Delius, surtout Charles Ives, et d’autres encore.
Ce fut un homme d’une grande culture, pas seulement musicale mais aussi littéraire, avec une attirance marquée pour le trouble, le morbide, voire le néant. Les romanciers anglais comme Thomas Hardy ou les sœurs Brontë le fascinaient, au point qu’il s’acharna à composer un opéra basé sur l’intrigue de Wuthering Heights d’Emily Brontë. Il travailla pendant de nombreuses années pour la radio, entre autres pour La Guerre des Mondes en 1938, adaptation mythique du roman d’H. G. Wells où Orson Welles et lui provoquèrent des scènes de panique aux États-Unis.
Ce fut Orson Welles aussi qui sollicita, le premier, la collaboration de Bernard Herrmann pour un film : ce fut un chef d’œuvre, Citizen Kane (1941). Bernard Herrmann ne cessa plus dès lors de travailler pour le cinéma, malgré quelques périodes creuses, bien plus tard, quand sa musique sembla quelque peu démodée (1964 fut son annus horribilis). Auparavant, il travailla avec les plus grands, pas seulement Hitchcock mais William Dieterle (Tous les Biens de la Terre, 1941), Joseph L. Mankiewicz (L’Aventure de Madame Muir, 1947 ; L’Affaire Cicéron, 1952), Nicholas Ray (La Maison dans l’Ombre, 1951), Robert Wise (Le Jour où la Terre s’arrêta, 1951), Henry Hathaway (Le Jardin du Diable, 1954) et bien d’autres encore. À partir de 1965, alors que Hollywood le boudait, il fut « sauvé » par François Truffaut, grand admirateur d’Hitchcock, qui lui confia la musique de Fahrenheit 451(1966) puis de La Mariée était en noir (1968). Il composa encore pour beaucoup d’autres films jusqu’à Taxi Driver (1976) qui fut son chant du cygne.
Cet homme au tempérament de feu, ce musicien et compositeur de génie, Karol Beffa le raconte en usant d’un style alerte, en homme passionné qui sait communiquer son enthousiasme. Le livre refermé, on n’a d’ailleurs qu’une envie, revoir les films auxquels a participé Bernard Herrmann pour en réécouter, plus attentivement, la musique.