Le billet de Pascal de Liliane Wouters

Le billet de Pascal de Liliane Wouters

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Francophone

Critiqué par Septularisen, le 10 juin 2024 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
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«Et l’allumeur de réverbères, un par un, // ravivait ses feux, dans la nuit en berne.»

Je ne présente plus Mme. Liliane WOUTERS (1930 – 2016), sans aucun doute l’une des plus grandes représentantes des la poésie belge de la 2e moitié du XXe S. «Le billet de Pascal» est un petit recueil de poésie de 94 pages, paru en 2000 et divisé en trois parties distinctes et je dois dire très différentes les unes des autres. «Le billet de Pascal» donc, suivi de «Actuelles» et de «Trois Tombeaux».

«Le billet de Pascal» est un long poème en prose de 58 pages, faisant un parallèle entre l’expérience d’extase mystique du français Blaise PASCAL (1623 – 1662) (1) du 23 novembre 1654 et la propre expérience de l'autrice, puisqu’elle nous raconte avoir eu un jour, - la poétesse ne nous donne aucune date, bien que d'après les évènements qu'elle décrit, on comprends que cela se passe en octobre 1991 -, une expérience similaire, très curieusement au volant de sa voiture alors qu’elle roulait sur l'autoroute en direction de la ville de Charleroi... C’est cette expérience dont elle nous parle et qu'elle nous transcrit (transmet?), dans une poésie d’une mystique éclairée.

«Entre Bruxelles et Charleroi, treize heures quinze,
le pied léger sur l'accélérateur,
les yeux actifs, l'esprit ailleurs,
sur fond de prés et d'autoroute,
de lessives, de laid clochers,
d'agressives publicités,
entre la fragile anecdote
du jour, l'incertain bulletin du temps,
l'horreur des génocides, le huitième
mariage d'une star sur le déclin,
les nouvelles sans lien, (sans lien?
Vingt-cinq mille enfants chaque jour meurent de faim,
on a déjà vendu cent millions de poupées Barbie),
joie, pleurs de joie,
un ange est là.»
(...)

Partant de là, elle nous parle de sa famille notamment de sa grand-mère Clémence à la foi très vive, et nous raconte une époque aujourd’hui révolue, de ses études, de sa jeunesse a Bruxelles, de son adolescence… C’est d’autant plus émouvant qu’elle nous parle de sa naissance, de cour de sa vie, de sa foi, et qu’aujourd’hui sa «voix» s’est définitivement éteinte…

«La mort se fait de plus en plus banale,
réduite à un article de journal,
redoutée, attendue, inéluctable.
Chercher une photo fait mal :
comme si l'on fouillait du sable.
Ces visages que tu aimais
tu as peur d'en revoir les traits.
Au tableau de la mémoire
les chiffons sales du passé
lentement vont les effacer.»
(...)

Elle nous parle aussi de sa vie, parle p. ex. de son voyage dans le Yorkshire à Haworth sur les traces des sœurs BRONTË [Charlotte (1816 – 1855) (2), Emily (1818 – 1848) (3) et Anne (1820 – 1849) (4)]

«Encore que. Dans l’air flotte parfois
mystérieuse une présence, on croit sentir
en certains lieux passer des ombres mortes.
Ainsi dans ce village du Yorkshire
Sur les cartes routières prénommé Haworth.

La rue en pente, les pavés ingrats, l’église
à mi-hauteur, cachant l’obscur
cimetière où broutent des chèvres
où des poules caquettent, sur lequel
soudain s’ouvre le presbytère.

Les filles du pasteur vivaient ici.
Anne, Emily, Charlotte,
dans cette maison grise, face aux tombes,
à l’écart du village, au flanc
de la colline abrupte, juste avant
la lande, que nul ne devine
bien qu’elle soit au bout de ce chemin.»

C’est une poésie toute en sensibilité, simple mais avec une recherche esthétique très poussée, facile à lire, mais qui présente une extrême densité, et mérite une attention de tous les instants, avec une intelligence et une beauté hors du commun. Ce n’est pas sans rappeler la poésie de Mme. Louise LABÉ (1524 – 1566) (5) ou de M. Paul VALERY (1871 – 1945) (6).

«Actuelles» est divisé en quatre grands poèmes :

«Grise Belgique», qui est un hymne à une Belgique «plurielle» et a «sa» ville de Charleroi.

«Que belges sommes dans notre âme
toute bercée au vent du Nord,
le regard plein des courtes lames
des flots farouches, et le corps
fouetté par la pluie inlassable,
belges depuis le premier sable
de la première plage, du
Zoute à la Panne, au temps perdu
bien perdu des jolies vacances
de notre blegicaine enfance.»
(...)

«Poésie», qui est un hommage aux poètes et à la poésie. La poétesse suivant les, «pas», du poète américain Carl SANDBURG (1878 – 1967), nous parle de la mémoire, et des «Traces» que l’on laisse dans ce monde…

«Pitié pour les poètes de vingt ans
car ils ignorent ce qu’ils font
et ce qu’ils font peu de gens le comprennent.

Il leur faudra beaucoup de temps pour exprimer
le permanent malaise qui les mine,
la joie aussi, mais c’est plus rare, on écrit moins
avec des roses qu’avec des épines.»
(…)

«Frères humains», est une réflexion sur l’homme, la liberté, la vie…

«Au nom du bien, au nom du mal,
de Dieu, du diable, de personne,
de saint Marx, de saint Capital,
de tout, de rien, on emprisonne,
on frappe, on tue, on jette en tas.
Blancs ossements sous la chaux vive,
Jeanne, Mehmet et Nikita
morts pour qu’en l’homme l’homme vive.

Puis on agite des drapeaux,
on se rassemble en beaux cortèges.
Frères, c’est moi, et c’est ma peau
qu’on change en herbe, en boue, en neige.»
(...)

«Le Graal» est une longue réflexion sur la «valeur» que l’on accorde aux choses. Mme. WOUTERS nous parle p. ex. de la Coupe du Monde de Football en 1994 (qui s’était déroulée aux USA) qui avait complètement éclipsé toutes les guerres qui se déroulaient au même moment dans le monde, les gens ne pensant plus qu’à suivre les match de Football de la Coupe du Monde…

«(…) tout allait mal sur la planète :
Ruandais, Zaïrois, Bosniaques et Tchétchènes,
sans compter les Palestiniens.
Mais l’univers ne pensait qu’à la Coupe.»
(...)

«Trois Tombeaux» enfin sont trois poèmes en hommage à trois personnes décédées au moment de la parution de ce recueil : Mme. Ida HENRY (1930 – 1990), M. Pierre EFFINIER (1930 – 1991), et la poétesse belge Françoise DELCARTE (1936 – 1995).

«Françoise DELCARTE»

«Éteints le bruit et la fureur, éteint
le feu des grands discours incendiares.
Celle qui traversa nos jours
comme un courant parcourt la mer
changeant la couleur de ses eaux
transformant sa teneur en sel
modifiant sa haleur solaire
celle qui n'a fait que passer
a rendu son âme épuisée»
(...)

Je finis complètement sous le charme de la poésie de Mme. WOUTERS. Je ne peux d’ailleurs que recommander la lecture de ce petit recueil de poésie au plus grand nombre, tant je trouve que malheureusement elle est beaucoup trop peu connue, et beaucoup trop peu lue, y compris dans son propre pays d’ailleurs!..

Rappelons que Mme. Liliane WOUTERS a été lauréate (entre autres…) du Grand Prix de la Maison de la Poésie (Paris) en 1989, du Prix Montaigne de la Fondation Frédéric Von Schiller (Hambourg) en 1992, et du Prix quinquennal de littérature (Fédération Wallonie-Bruxelles) et du Prix Goncourt de la Poésie en 2000.

(1). Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/11788
(2). Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/589
(3). Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/1328
(4). Cf ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/4583
(5). Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/18719
(6). Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/6431

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