Les tribulations du dernier Sijilmassi
de Fouad Laroui

critiqué par Pucksimberg, le 12 juin 2024
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Un Candide des temps modernes à Casablanca

Lorsqu’il se trouve à plusieurs mètres d’altitude, dans son avion de Lufthansa, Adam a une épiphanie comme il le dit lui-même, une révélation. Il ne condamne pas le progrès, mais il se sent pris dans une course qui ne lui laisse pas vraiment le temps de vivre et de profiter. Il décide de partir à Casablanca, un retour aux sources, jusqu’à Azemmour. A la façon d’un conte philosophique de Voltaire, Fouad Laroui décrit l’apprentissage de son personnage qui va s’interroger sur de nombreux éléments : l’islam, l’héritage culturel, son identité, sa place sur Terre … Il fera de nombreuses rencontres comme c’est le cas dans « Candide » et son personnage entretiendra des discussions passionnantes et vives sur divers éléments.

Le narrateur peut surprendre au départ, semblant naïf dans certains de ses choix comme aller à Casablanca à pied de l’aéroport. Sa volonté de décrocher du monde tel qu’il est à ce jour afin de le repenser s’avère passionnant. Fouad Laroui, sans doute, s’interroge à travers son personnage et ses réflexions invitent le lecteur à s’interroger aussi. Dans ses multiples discussions, il s’interroge sur l’islam, ou plutôt les divers islams qui se sont développés. Il ne comprend pas que les croyants ne parviennent pas à concevoir qu’il y a plusieurs lectures de l’islam. Cette intolérance a les conséquences que nous connaissons. Il évoque le fait que la croyance devrait être intime, en soi et pas exposée aux yeux de tous et sujette par conséquent à des tensions. A l’inverse, il défend la culture littéraire et philosophique arabe en évoquant d’anciens penseurs qui ont même influencé nos intellectuels. Il aimerait bien qu’ils soient réhabilités et mis sur le plan que nos penseurs. Du côté occidental et du côté oriental, ils sont quelque peu négligés alors qu’ils incarnaient la sagesse aux yeux de nos penseurs. Fouad Laroui évoque aussi d’autres sujets par le biais de dialogues argumentatifs qui se révèlent passionnants si l’on s’intéresse à ces questions.

Le début du roman regorge d’humour et tombe quelque peu dans la surenchère, comme s’il y avait gag sur gag. Ce point m’a un petit peu gêné car j’ai trouvé certaines pointes d’humour lourdes, mais j’ai aussi souri à d’autres. Fouad Laroui a multiplié aussi les parenthèses, voire celles qui sont aussi enchâssées dans d’autre parenthèses. Je ne suis pas séduit par ce procédé. Mais assez vite, le charme opère quand les discussions conservent de l’humour tout en étant plus philosophiques et accessibles. Les dialogues argumentatifs possèdent de la vivacité et interpellent le lecteur. Le personnage d’Adam est aussi habité par ses anciennes lectures, donc régulièrement des citations de roman traversent son esprit. Elles le gênent au départ car elles en renvoient à son éducation, puis il les accepte car elles rentrent dans la construction de son identité. Fouad Laroui a aussi des trouvailles, comme le cerveau du personnage principal associé à un Parlement, dans lequel les députés se chamaillent lorsque le personnage essaie de délibérer. Oui, ce procédé peut surprendre, mais il est cohérent et plaisant. Il est utilisé à plusieurs reprises.

Les chapitres sont assez courts, les questionnements d’Adam amusent tout en ne manquant pas d’intelligence et le lecteur découvre un homme divisé entre deux cultures qui n’ont pas le même rapport au temps. Pourtant, remettre au centre de notre culture ces penseurs arabes serait idéal. Le personnage se plaît à rêver d’un Maroc plus à l’écoute de ces intellectuels que des diktats d’une religion, dont quelques hommes ont donné une version à laquelle tout le monde doit se soumettre. Fouad Laroui ne cède pas au réquisitoire, ne fait pas preuve d’agressivité. Tout passe par la discussion intelligente et le débat posé. Voltaire est souvent cité dans ce roman et il est vrai que ce roman peut rappeler les apologues du philosophe.