La vie lente
de Abdellah Taïa

critiqué par Pucksimberg, le 22 juin 2024
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
L'enfer, c'est les autres
Mounir, Parisien d’origine marocaine, vit dans un petit appartement. Au lendemain des attentats de 2015, il n’est pas forcément vu d’un bon œil par les personnes qu’ils côtoient. Excédé et tendu, il se dispute avec sa vieille voisine de l’étage supérieur – alors qu’il a toujours eu de bons rapports avec elle – parce qu’elle l’empêche de dormir correctement. Elle ferait trop de bruit et il ne supporte plus cela. Ses mots vont plus loin que sa pensée et ses propos sont violents. Craignant qu’il ne soit dangereux elle appelle la police. Des soupçons de terrorisme planent sur lui, surtout qu’il est perçu comme un maghrébin en colère. Cet épisode suivi d’un interrogatoire va le plonger dans certains épisodes de son passé et le faire réfléchir sur son identité et sur ce qui ferait le sel d’une existence …

Le roman n’est pas du tout un roman sur le terrorisme, c’est surtout un roman qui aborde l’identité, la difficulté à s’affirmer et à vivre pleinement comme on l’entend. Paris n’incarne sans doute pas l’idéal pour le personnage principal et il se plaît à se balader dans les quartiers très populaires pour retrouver l’atmosphère et l’humanité de son quartier d’enfance. Il souhaiterait être heureux en amour mais sa relation amoureuse avec Antoine, un policier, souligne le fait qu’il est souvent compliqué d’assumer son orientation sexuelle quand elle n’est pas celle de la majorité. Il y a aussi cette figure féminine qui a aimé un allemand durant la seconde guerre mondiale et qui a été punie et humiliée par la suite, donc elle n’a pas pu sortir de la ligne de conduite imposée. Il est question aussi d’une jeune femme qui ne peut pas aimer qui elle souhaite parce qu’elle a des obligations auprès de sa famille musulmane.

Le roman d’Abdellah Taïa est profond et les divers chapitres développés permettent de pénétrer dans l’esprit de divers personnages. Le lecteur peut donc s’identifier et mesurer les difficultés qu’ils rencontrent. L’écrivain aborde avec une certaine grâce et une grande sensibilité cette humanité. Ses romans semblent faire preuve d’une grande maturité. Ce roman est vraiment abouti et très riche. Certaines scènes sont très fortes et continuent à vivre dans la mémoire du lecteur. La scène dans le musée du Louvre est frappante, les confidences de Simone sur sa sœur sont touchantes … Parfois, le lecteur en vient à douter de ce qu’il lit, comme si certains passages étaient oniriques ou purement imaginés. Le personnage est-il dépressif et son rapport au monde est-il fiable ? Cet Antoine aimé est-il réellement l’inspecteur qui l’interrogera suite au coup de téléphone de Mme Marty ?

L’écriture d’Abdellah Taïa est de qualité et maintient une certaine intensité tout le long de la lecture. Il parvient à donner naissance à des personnages que l’on peut imaginer, voire comprendre. Il n’est pas manichéen et cette complexité de l’être humain est bien rendue. L’intégration des immigrés est abordée aussi bien évidemment. L’homosexualité aussi est évoquée et est l’une des caractéristiques définitoires de son personnage principal. Le personnage se définit par plusieurs éléments et ne se cantonne pas juste à une sexualité ou une origine, mais ce sont des éléments qui justifient en partie le mal-être de son personnage dans certains passages du roman. Le roman "La Vie devant soi" est évoqué rapidement à la fin de ce roman, et il est vrai que la relation entre le narrateur et Mme Marty a quelques accents qui peuvent rappeler le roman de Romain Gary.

Un roman réussi, riche et bien écrit.