Mafalda, Tome 2 : Encore Mafalda
de Quino

critiqué par Eric Eliès, le 23 juin 2024
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Encore Mafalda et son regard tendrement caustique porté sur le monde
Héroïne mondialement connue imaginée en 1964 par Quino, un dessinateur argentin, Mafalda est une petite fille de 5 ou 6 ans, obsédée par le problème de la paix dans le monde, qui regarde la vie avec un mélange de candeur enfantine et d’indignation adulte. Fille unique d’un père employé de bureau et d’une femme au foyer, qu’elle malmène de ses questions sans réponse (assaisonnées de remarques souvent perfides), elle a quelques amis de son âge, avec qui elle joue ou débat sur l’avenir du monde.

Dans le tome 2, contrairement à ce qui passe dans la plupart des BD (Bill et Boule, Calvin et Hobbes, etc. dont les protagonistes sont figés au même âge d’album en album), Mafalda vieillit d’un an et va désormais à l’école (ce qui suscite quelques gags amusants sur le coup de vieux des parents, le stress ou l’enthousiasme débordant des enfants pour l’école, etc.). Mafalda n’est plus restreinte au petit univers familial et on la suit également en vacances à la plage, où elle se fait un nouvel ami – Miguelito – qu’on retrouvera dans les albums suivants, en plus de Felipe (fan absolu du « cowboy solitaire »), de Susanita (qui ne parle que de la famille et des enfants riches et célèbres qu’elle aura plus tard) et de Manolito (obsédé par la réussite commerciale de l’épicerie paternelle, qu’il rêve de reprendre et d’agrandir).

Pensés pour la publication en journal, les gags de Mafalda sont composés d’une succession de lignes indépendantes de 3 ou 4 cases, mais certains s’enchaînent, composant presque un gag d’une page entière (même si chaque ligne a sa propre chute). Comme dans le premier album, le génie de Quino, réside dans l’alliance d’un dessin faussement simpliste mais toujours très expressif et de gags eux aussi faussement simplistes, qui ont toujours des résonances personnelles ou politiques. Comme chez tous les grands humoristes de la BD (Franquin, Gotlib, Larcenet, Goossens, etc. ou l’américain Bill Watterson), l’humour est à la fois dans l’image (par exemple, Mafalda écoeurée à la limite de l’évanouissement après que Miguelito lui ait dit que la mer ressemblait à une immense soupe et les nageurs à des nouilles) et dans les mots. Comme dans le tome 1, Quino parvient à ne jamais se répéter en jouant sur de multiples gammes : celle de l’enfance, celle de la vie en Argentine et celle, plus profonde, de la condition humaine, du sens de la vie et de son absurdité. Par rapport au tome 1 s’ajoutent des gags sur la vie de famille, grâce à une personnalisation plus poussée des parents de Mafalda. Le papa de Mafalda apparaît comme un sage employé de bureau un peu frustré qui rêve d’une vie paisible et se console comme il peut dans le jardinage, tandis que la maman de Mafalda est une femme au foyer, accaparée par ses tâches ménagères et confrontée aux difficultés de la vie ordinaire, notamment la vie chère. Les parents de Mafalda sont l’objet des gags les plus « méchants » de l’album, comme si Mafalda, tout en aimant ses parents, méprisait son père d'être un petit employé médiocre et sa maman de s’être laissée enfermée au foyer. Par exemple, Mafalda demande à son père, en train de jardiner ses plantes en pot, quelle est la différence entre papa et père. A la réponse que "papa est affectueux alors que père est respectueux", Mafalda rétorque, l'air contrit : "alors je ne pourrai jamais t'appeler père ?". De même, quand Mafalda rêve que sa mère a achevé ses études :

Maman (courant joyeusement vers Mafalda, qui la regarde émerveillée) : Ca y est, tu n’es plus la fille d’une femme médiocre !
Maman (montrant son diplôme à Mafalda qui se blottit contre elle avec amour et admiration) : J’ai passé mes UV et j’ai le diplôme !
Mafalda (éveillée, sautant du lit et courant avec enthousiasme vers sa maman) : Maman ! Cette nuit j’ai rêvé que tu avais…
Mafalda (muette, regardant avec désolation et la larme à l’oeil sa mère en bigoudis) : -

Sur le plan politique, l’anticommunisme de Quino, perceptible dès le tome 1, se confirme, par exemple dans un gag d’une seule image où Mafalda regarde son bol de soupe et déclare solennellement : « La soupe est à l’enfance ce que le communisme est à la démocratie ! » Mais Quino se moque également des tendances « droitières » de l’Argentine des années 60/70, où quelques anciens fascistes avaient trouvé refuge :

Mafalda (à la plage, en lunettes de soleil, désignant le soleil à Miguelito) : Tu te rends compte, Miguelito, c’est le même soleil qui a éclairé Lincoln… Rembrandt...
Mafalda (le doigt sur le menton, cherchant) : Cervantès ! Dante !
Miguelito (exalté, les bras grand ouverts) : Mussolini !
Miguelito (abasourdi, renversé le cul par terre et trempé tandis que Mafalda, qu’on devine fâchée, s’éloigne au loin ) : Ben quoi, mon grand-père dit beaucoup de bien de Mussolini !