Les règles du Mikado
de Erri De Luca

critiqué par Cédelor, le 30 août 2024
(Paris - 53 ans)


La note:  étoiles
Jolie plume mais histoire trop improbable
Ce titre « Les règles du Mikado » était un peu intrigant. Je connais bien sûr le mikado, ce jeu où il s’agit de retirer un à un des petits bâtons de bois sans faire bouger les autres. Un jeu auquel j’ai joué quand j’étais enfant et que j’aimais. Une fois adulte, je n’y ai plus retouché, pris par mes affaires d’adulte. Faut-il être devenu adulte pour ne plus jouer aux jeux qu’on a aimés enfant ? À moins d’avoir des enfants, dans ce cas ça aide à y rejouer. Bref, voici une digression hors sujet. Je reviens à ce livre, donc.

En lisant la 4ème de couverture, je me suis dit que cela pourrait être intéressant. Entre autres, voici ce qu’il y est inscrit : « Cette rencontre inaugure une entente faite de dialogues nocturnes sur les hommes et la vie, un échange de connaissances et de visions - elle qui croit au destin, aux signes, qui sait lire les lignes de la main, elle qui dresse un ours et l’aime comme le meilleur des amis ; lui qui se sent comme un rouage de la machine du monde et qui interprète ce monde selon les règles du Mikado, comme si le jeu était une façon de mettre de l’ordre dans le chaos. » ou « D’une constante intensité, ce nouveau roman impressionne par la force de sa narration et ne manque pas de nous surprendre. Dans ce récit dense et délicat, où chaque mot ouvre sur des significations plus profondes, où chaque phrase est une porte d'entrée avant tout sur soi-même, Erri De Luca nous invite à un jeu calme, patient et lucide, dans lequel même un mouvement imperceptible peut changer le cours de la partie. ». Bref, cela suggère un livre un peu philosophique, un peu psychologique, servis dans un beau écrin littéraire.

Puis, après avoir terminé ce livre, on se dit qu’il y a vraiment des professionnels doués, payés pour fournir de beaux textes de 4ème de couverture destinés à accrocher le lecteur et à lui donner envie d’acheter le bouquin qu’il tient en main. Bon, je ne veux pas donner l’impression que ce livre est nul, il ne l’est pas, pas du tout même. Mais à mon sens, le contenu de ce livre déçoit au regard des attentes suscitées par cette 4ème de couverture joliment élaborée.
De quoi ça parle ? Un vieil homme campe dans les montages à la frontière entre Italie et Slovénie. Une nuit, une jeune fille trouve refuge dans sa tente, fuyant sa famille gitane qui voulait la marier de force. Ils font connaissance. Ce vieil homme l’aide à échapper définitivement à sa famille gitane. Il l’aide aussi à trouver un emploi. La jeune fille peut faire sa vie normalement. Des années plus tard, ils correspondent par lettres, puis on lit un cahier écrit par le vieil homme et retrouvé après sa mort. Le tout explique peu à peu les choses et les apparences, finalement, se dévoilent et la réalité n’est plus ce qu’on croyait.

C’est bien amené, c’est bien construit et on découvre au fil des conversations, des lettres, du cahier ce qui en a été vraiment, tant du côté du vieil homme que de la jeune fille. Avec toujours pour fil conducteur, ce fameux jeu du Mikado, celui du titre, et qui sert de justification aux actes des protagonistes du roman. En soi, c’est original et cela mérite d’être souligné. Le tout est raconté dans une écriture fine et racée, sans longs développements, qui s’efforce d’aller au plus à l’essentiel, d’une lecture agréable. Dans cet esprit, le livre est court, 160 pages, avec des chapitres bien espacés et peut se lire en une journée. L’auteur sait écrire et dispose d’une jolie prose.

Là où c’est moins réussi, c’est qu’au cours de la lecture, on a la sensation d’abord que l’auteur cherche un peu trop à placer des aphorismes qui se veulent « profondes pensées », des placements certes non hasardeux mais qui sautent aux yeux comme recherchés, et semés un peu trop souvent de ci de là, qui nuisent à la crédibilité des personnages car pas toujours congrus sortants de leur bouches ou sous leurs plumes. Ensuite, c’est l’histoire en elle-même. J’ai dit qu’elle était bien construite, qu’elle suivait sa propre logique, mais au fil de la lecture, elle apparaît de plus en plus difficile à y entrer, à se laisser mener par où elle veut en arriver, devenant trop improbable pour y croire vraiment. On sait que c’est une fiction, donc pourquoi pas, on a déjà lu des récits plus singuliers que celui-ci, mais il faut qu’il y ait de la cohérence, de la crédibilité pour que ce soit acceptable, même pour la fiction la plus déjantée. Ici, rien n’est déjanté. C’est un récit qui se déroule tout en douceur, du début à la fin, à l’image du jeu du mikado, un jeu qu’on ne peut jouer qu’avec patience et adresse. Hélas, l’adresse, indéniable, a produit un récit peu crédible. On dirait plus un conte philosophique qu’autre chose.

Au final, je suis partagé dans mon appréciation globale. Une forme bien faite, mais un contenu auquel on n’adhère pas. Une belle plume, mais une histoire dont on se détache. Un bon moment de lecture quand même, ne serait-ce que par sa jolie qualité d’écriture, mais pas un coup de cœur. Dommage, car cet Erri de Luca, auteur dont je lis pour la première fois un de ses bouquins, me semble avoir vraiment du potentiel. Il faudrait que je lise d’autres de ses bouquins pour m’en faire une vraie opinion qui ne soit pas basée sur un seul livre lu.