Père-patrie
de Jean-Robert Jouanny

critiqué par Débézed, le 22 août 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Comment aimer la Russie aujourd'hui
« Peut-on tout garder de sa bibliothèque quand on a adoré la Russie ? » L’éditeur semble poser cette question à l’auteur qui a effectivement été, et est certainement encore, un grand russophile malgré tout ce qu’il ne peut plus accepter en provenance de la patrie des Dostoïevski, Tolstoï, Lermontov, Pouchkine et autres et qui est celle aussi de Poutine et de ses sicaires.

L’auteur, Jean-Robert, est le fils d’un couple atypique, sa mère à vingt-sept ans de moins que son père qui était son directeur de maîtrise, lui est né alors que ce père avait soixante ans déjà. Il a hérité de leurs gênes littéraires et de leur amour des lettres. En bons enseignants (la mère est professeure de français, le père terminera sa carrière à la Sorbonne comme professeur de latin) connaissent toutes les ficelles pour intégrer un bon collège. En l’occurrence, il conseille vivement à leur fils de choisir le russe en LV1, et la magie du choix opère, il intègre un excellent collège où la professeure de russe lui transmet sa passion pour la Russie. Quand elle l’évoque, elle cite un satiriste du XIX° siècle qui répondait quand on lui demandait ce qui se passe dans son pays : « … je dirai à coup sûr on y boit et on y vole ».

Il allait « aimer la Russie comme une malédiction ». Un peu comme Lesley Blanch l’a aimée avec le fameux russe qui visitait sa mère quand il en avait la possibilité et peut-être l’envie. Ils ont les mêmes mots pour évoquer la magie du Lac Baïkal, la Sibérie, le Transsibérien, …, ils transmettent le même amour pour cet immense territoire que j’ai traversé avec Michel Strogoff quand je n’étais encore qu’un enfant et aussi la même envie d’y aller peut-être un jour quand cela sera possible …

Ainsi, Jean-Robert découvre la Russie dans les grands textes et se prend de passion pour ce pays . il y fait un premier voyage passion au cœur des seventies et, en 2008, intègre le MGIMO de Moscou où il effectue une année d’étude supérieure. Il y rencontre la belle Olga avec laquelle il vivra une aventure passionnelle de cinq années. A cette occasion il découvre la face cachée de la Russie, celle de tous les excès : de la passion, des sentiments subversifs, du romantisme débordant, de la violence, de l’anarchisme qui le séduit, …

Il suit la Russie à travers toutes les évolutions qu’elle éprouve après de la chute du pouvoir soviétique, il connaît bien la société russe, sa façon de vivre, ses mœurs, son histoire, sa langue, sa culture, ses traditions, …, tout ce qui amène ce peuple à suivre un pouvoir qui a toujours été autoritaire. Il ne connait pas la démocratie, la modération, il ne connait que la force, la violence, la contrainte, … Il lui faut un seigneur, un maître, un moujik, un secrétaire général ou un apparatchik quelconque à écouter et obéir.

Jean-Robert ne supporte plus l’attitude de la Russie quand elle envahit la Crimée et menace d’autres états de l’ancienne fédération. Il décide alors de se séparer de sa bibliothèque russe et des objets qu’il a ramenés de là-bas, mais peut-on tout jeter ? Il se pose la question que relaie l’éditeur su la quatrième de couverture et que je cite au début de ce propos. Faut-il mettre Dostoïevski dans le même panier que Tolstoï ? alors, il relit, il feuillette, il jauge, juge parfois mais ne trouve pas de réponse à sa question. Chaque auteur à ses sentiments, ses opinons, ses pensées, ses références, … C’est un long chemin qu’il entreprend comme son père quand, l’âge venant, a voulu abandonner sa passion pour la Grèce. Il trouve, à cette occasion, une connexion, une connivence, avec ce père trop peu connu.

J’ai beaucoup aimé ce texte car j’ai lu de nombreux auteurs russes, ukrainiens, baltes et autres des pays de l’ancienne fédération de Russie, cette littérature, pour moi, fait partie du patrimoine mondiale de l’humanité littéraire. J’ai beaucoup aimé l’écriture de l’auteur, ses références, sa culture, son style, la fluidité et la richesse de son texte. c’est un petit bijoux qui pose de très bonnes questions et qui montre bien qu’on peut aimer un pays sans apprécier ceux qui le dirigent. « L’âme russe » est peut-être un vieux truisme littéraire mais elle existe bien dans la littérature et les mœurs russes. L’auteur en témoigne dans ce texte : « Les Russes prennent les inclinaison de l’âme très au sérieux. Rares sont les gens, …, qui s’interrogent à ce point sur la finitude… ».

« Rompre avec un pays est bien difficile. On sent toujours son pouls. Il n’a pas disparu. Il est malade mais il l’ignore… ».