Les délitements de l'amour

Après le formidable Les Fantômes du Vieux Pays, paru chez Gallimard en 2017, voici le nouveau et très attendu roman de Nathan Hill. Un roman où l’on retrouve certains procédés d’écriture de cet écrivain, en particulier de nombreux va-et-vient temporels qui peuvent surprendre le lecteur mais avec lesquels, en vérité, on peut très rapidement se familiariser. À nouveau, en effet, Nathan Hill s’emploie à retracer la destinée de personnages et à sonder leurs évolutions au cours du temps. Or, en l’occurrence, il s’agit essentiellement de raconter et d’analyser le cheminement d’un couple avec les inévitables changements qui se produisent au fil des années et qui transforment les regards.
Lui se prénomme Jack, elle Elizabeth et leur rencontre a lieu à Chicago en 1993, alors que tous deux sont étudiants. Leurs logements respectifs étant situés l’un en face de l’autre, leur histoire commune commence muettement, en s’observant, en s’espionnant même, d’une fenêtre à l’autre. Elle et lui, lui et elle, chacun dans son studio, seul(e) et contemplant l’autre au rythme des lumières qui s’allument et s’éteignent. Jusqu’à ce que, enfin, dans un bar, ils échangent leurs premiers mots : « Viens avec », dit Jack à Elizabeth et, en effet, elle vient avec.
Commencent alors les allers et retours temporels dont j’ai parlé. Nous voilà transportés en 2014, plus de vingt ans après le coup de foudre initial. Entre-temps, ils se sont mariés, ont eu un enfant et les voilà qui emménagent dans leur « maison pour la vie ». Mais, en vérité, que reste-t-il de la passion des débuts ? Comment leur relation a-t-elle évolué ? Avec un admirable sens de la formule, Nathan Hill résume tout en trois phrases : « Jack repensa à cet hiver-là [i.e. celui de 1993 à Chicago], à ces mois pendant lesquels ils avaient été séparés par la distance d’une ruelle. Tout ce qu’ils voulaient à l’époque, c’était supprimer l’espace entre eux. Et à présent, ils étaient là, vingt ans plus tard, en train de le recréer. »
Cette histoire, en soi, n’a rien de très original, c’est l’histoire d’un grand nombre de couples. Cela étant, on peut faire confiance à Nathan Hill pour rendre passionnant un récit dont la substance peut paraître banale, pour décortiquer les processus qui ont conduit à cette sorte de délitement de la passion dans l’embourgeoisement et les soucis qui n’ont plus rien à voir avec les rêves et les licences des débuts.
Et comme Nathan Hill en est parfaitement conscient, c’est en cherchant du côté du passé que l’on peut mieux appréhender le présent. D’où les nombreux retours en arrière que s’autorise le romancier, pas seulement à l’époque où Jack et Elizabeth se sont connus, mais avant cela, durant l’enfance et l’adolescence de chacun des deux personnages, et même du côté de leurs ancêtres. C’est ainsi qu’on découvre comment la lignée des Augustine (c’est le nom de famille d’Elizabeth) s’est enrichie sans jamais s’encombrer de scrupules moraux. C’est ainsi qu’on fait connaissance avec les parents et la sœur de Jack et qu’on est informé et de la complicité du frère et de la sœur et du terrible drame qui les a séparés pour toujours. Je n’en dis pas davantage afin d’en laisser la surprise aux éventuel(le)s lectrices et lecteurs.
Jack et Elizabeth se sont rencontrés et se sont plu mais étaient-ils vraiment faits l’un pour l’autre ? Au fil des pages, toutes les rêveries sur les idéaux de l’amour se fracassent l’une après l’autre, à commencer par « ce délire, comme dit l’un des personnages du livre, autour du fait qu’il existerait une personne surhumaine qui nous compléterait. Qui répondrait à tous nos besoins. Il suffit de regarder l’histoire pour voir que l’idée est absurde. » Ainsi Nathan Hill propose-t-il un roman sur les désenchantements de l’amour, roman qui ne manque cependant ni de virtuosité ni d’humour.

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  Bien-être [Texte imprimé]

  de Hill, Nathan Bru, Nathalie (Traducteur)
  Gallimard / Du monde entier
  ISBN : 9782072999901 ; 26,00 € ; 22/08/2024 ; 688 p. ; Broché

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