Le bastion des larmes
de Abdellah Taïa

critiqué par Pucksimberg, le 1 septembre 2024
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un très beau roman
Fraichement sorti pour cette rentrée littéraire 2024, ce roman d’Abdellah Taïa est fort, intelligent et repose sur une écriture travaillée et d’une qualité constante. Youssef repart au Maroc afin de vendre une maison dont il a hérité à la mort de sa mère sous la pression de la fratrie. Il ressent des difficultés à se séparer de cet endroit que sa mère a mis du temps à concevoir, comme si cet acte était irrespectueux ou une façon de s’éloigner encore plus de la mère défunte. Mais ce voyage va lui rappeler surtout un amour de jeunesse avec Najib. Celui-ci apparaît dans ses rêves et lui parle, ressassant certains souvenirs et évoquant clairement la condition des gays au Maroc. Ce voyage au Maroc est un voyage dans le passé, dans les pensées des personnes que Youssef a connues, un voyage peut-être qui permet de clore certaines histoires et de verbaliser ce qui n’avait sans doute pas été dit jusqu’à présent.

C’est vraiment un beau roman que nous offre Abdellah Taïa. L’écriture est belle, parfois poétique, parfois crue. Les chapitres se lisent avec plaisir car ils possèdent une force narrative solide. Parfois des dialogues s’immiscent dans ces chapitres, sans forcément que les personnages soient ensemble. Ce lien affectif, presque magique, quasi rêvé, souligne les liens forts qui unissent ces individus. Il n’y a pas de naïveté dans les romans d’Abdellah Taïa et les personnages ne sont pas manichéens. Il y a de la beauté en chacun d’eux. Tous sont francs, se disent clairement ce qu’ils pensent et il y a quelque chose de méridional qui se dégage des relations humaines. Il y a ce frère qui est parti vivre en Suède avec sa copine et qui ne donne plus de nouvelles, il y a Najib dont tout le monde se moquait dans son enfance parce qu’il est gay et qui est désormais quelqu’un de redouté. Si l’on se fie aux points communs entre les romans d’Abdellah Taïa, le lecteur a l’impression que certains éléments sont empruntés à la réalité.

L’homosexualité occupe une place importante dans ce roman qui peut sembler engagé à plusieurs égards. Le statut du gay au Maroc est décrit de façon explicite. Le lecteur est confronté aux brimades et aux violences qu’on leur inflige. De façon récurrente dans ses romans, sont évoqués ces garçons efféminés qui sont violés régulièrement par des adultes en manque de vie sexuelle. « Le Bastion des larmes » est un roman, mais la dénonciation transparaît tout de même par le simple fait d’énoncer les faits. L’auteur évoque ces agressions clairement comme des actes présents dans la société marocaine qui ferme les yeux sur ces points.

La ville de Salé est un personnage à part entière qui semble définir les personnages, les constituer et leur offrir un terrain de jeu. Le Bastion des Larmes a son histoire qui est contée dans le roman et le lieu nourrit la scène du roman concernée. Le roman se révèle touchant parfois, beau à certains moments, cruels à d’autres. Et il y a des moments où l’on rit. Je pense à une scène en particulier qui est tellement inattendue. En fermant « Le Bastion des larmes », le lecteur est encore habité par les personnages et certaines scènes flottent encore dans notre esprit. Ce roman est fort et mérite d’être repéré parmi les nombreux romans qui paraissent actuellement.