Jour de ressac
de Maylis de Kerangal

critiqué par Veneziano, le 14 septembre 2024
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Un passé échoué sur une plage
La narratrice reçoit un appel du commissariat de police du Havre, lui demandant de venir, au sujet d'une enquête pénale la concernant, suite à la découverte d'un corps. N'étant pas retournée dans cette ville depuis des lustres et se retrouvant mêlée à ce type d'histoire constituent des éléments aussi troublants qu'intrigants et glauques ; et c'est bien ce qui va hanter ce roman jusqu'à son terme, dans tous les sens du terme.
Elle évoque au lieutenant Zambo son incrédulité, son éloignement persistant de cette ville, et il lui lâche qu'il a été retrouvé sur le corps un papier avec son numéro de téléphone à elle. Il lui demande de le suivre à la morgue identifier le cadavre, et le degré d'incompréhension devient accru. Pendant cette journée, elle déambule, retourne sur la plage où il a été retrouvé, se demande comme ce toxico pris dans un trafic de stup a pu posséder son numéro; Si tout finit par s'éclairer, le mystère reste épais quasiment jusqu'au bout, dans ce quartier peu séduisant. La nostalgie finit par l'assaillir de plusieurs manières distinctes.

L'intrigue est bien menée et finir par happer la lectrice et le lecteur du fait du halo de mystère, malgré le glauque qui enrobe l'atmosphère, tant la protagoniste, noyée dans l'incompréhension, mérite, en toute apparence d'être sauvée de là ; la morosité domine seulement, et assez lourdement ; mais ce roman apparaît intéressant, de façon globale.
Rigueur et émotion 10 étoiles

La narratrice reçoit à son domicile parisien une convocation du commissariat de police du Havre. Sur place l'inspecteur Zambra lui révèle que son numéro de téléphone était écrit sur un ticket de cinéma dans la poche d'un inconnu trouvé mort sur la plage de galets.
Ce retour impromptu de la narratrice vers sa ville natale du Havre fait remonter des souvenir par bouffées et par vagues tout le long de son parcours plus ou moins erratique à travers la ville . Mais la mémoire se modifie au fil des années . Quand on déambule dans une ville quittée depuis des décennies, on peut redouter de ne pas reconnaître ou reconnaître à tort des visages. Même la reconnaissance d'êtres proches et aimés est chargée d'incertitude. La narratrice se pose des questions de cette nature. En l’absence de photo saurait-elle restituer les traits du visage de sa fille à sa naissance ?
A tout ce flou l'auteur confronte la quête scientifique du passé. C'est le travail méthodique et codifié de l'enquêteur , du médecin légiste , et même aussi de la narratrice qui en plus de son travail de mémoire essaie de collecter des éléments objectifs : des traces autour de l'emplacement où le cadavre a été découvert , le témoignage éventuelle de l'ouvreuse du cinéma , et enfin une confrontation avec la dépouille du défunt , dont elle n'avait vu que les photos.
L'environnement et le travail des professionnels est décrit avec précision et minutie , dans un style tranchant , clinique , implacable. Simultanément les émotions ne sont jamais absentes. Ainsi la
médecin légiste fait part de son mal être lors de l'autopsie , le même jour , d'un suicidé dont le coup de carabine a emporté le visage. La narratrice elle-même est bien sûre totalement fragilisée. Doubleuse renommée ,elle se trouve déstabilisée lors d'un essai techniquement mal amorcé , pour incarner la voix d'une star internationale . Bien longtemps avant cette épreuve elle avait été choisie comme marraine d'un nouveau bateau pilote . Elle angoissait avant de déclencher le lancement de la bouteille de champagne contre la proue. Maylis de Kerangal excelle dans la description de ces instants dilatés , suspendus. Les marins eux-mêmes n'échappent pas à l'émotion et même à un brin de superstition pour l'un d'entre eux.

Un personnage à part entière du roman , c'est aussi la ville du Havre , avec son urbanisme géométrique , les dégradés de gris des façades de béton et de la mer souvent couleur ardoise , les ports sur lesquels plane la menace des narcotrafiquants ; mais aussi le passé terrible : trois jours de bombardement en tapis . Là aussi l'auteur imagine aussi la ville sous l'examen d'archéologues , fouillant les strates de décombres et aussi de fragments d'os sur lesquels repose la cité contemporaine (On peut imaginer en écho à l'autopsie de la victime , mais en tout cas avec cette même rigueur froide)

On croise aussi des jeunes . En contraste , leurs esprits ne sont pas encombrés de souvenirs lointains . Deux jeunes femmes ukrainiennes , qui pourtant fuient les bombardements de Karkiv , mais partent pleines d’énergie vers l'Angleterre. La fille de la narratrice et sa bande de copines du club d'escrime fêtent joyeusement ses vingt ans.

Nav33 - - 76 ans - 31 octobre 2024