Loin de décevoir, le deuxième tome de cette épopée maritime reste dans la ligne du premier. Au-delà de l’aspect divertissant de cette aventure et de son écrin somptueux (oui, l’objet « livre » est vraiment magnifique), « 1629 – Livre II » est une réflexion saisissante sur le pouvoir, dans un contexte où les règles du monde dit civilisé n’ont plus cours. Dès lors, comme le montre cet ouvrage inspiré d’un fait historique, ce sont les réflexes les plus primitifs, les plus cruels, qui reprennent le dessus. Mais il questionne aussi les méthodes fallacieuses auxquelles est prêt à recourir un pouvoir afin de maintenir l’ordre. Sous des dehors policés, des méthodes parfois brutales et sanguinaires, le plus souvent arbitraires, qui n’ont rien à envier à la barbarie la plus féroce. Un ordre certes, mais au service de qui ? Des puissants ou des citoyens ?
Dans le cas de ce récit à la narration impeccable, le premier pôle (la barbarie) est incarné par Jeronimus Cornélius, l’ancien apothicaire ruiné, qui utilise son éloquence et son bagage éducatif pour prendre le pouvoir, n’hésitant pas à recourir à l’élimination physique de ses adversaires. Un homme brillant et séducteur, mais d’un cynisme sans bornes, prêt à se livrer à toutes les turpitudes pour arriver à ses fins. Le second (l’ordre civilisationnel dont fait partie la compagnie hollandaise des Indes orientales) est représenté par le commandant Pelsaert, qui ne vaut guère mieux quand il condamne à mort ceux qui ont fauté, sans considération pour la justice la plus élémentaire, le seul but étant d’inspirer la terreur pour dissuader toute velléité de révolte.
Dans le rôle du « méchant », Cornélius est le type même du personnage odieux et revanchard. Le trait est à peine forcé. Erudit, beau parleur, il a parfaitement compris comment sa verve lui permettrait de manipuler la « plèbe » pour mieux imposer son pouvoir. A l’instar de certains politiciens, hélas trop nombreux, qui semblent souvent plus au service de leurs intérêts que ceux de leurs administrés. Face à Cornélius, le commandant Pelsaert n’est guère plus sympathique, bien qu’il soit dans le camp des « gentils ».
Mais la figure la plus intéressante ici est celle de Lucretia Hans. A l’occasion de ce qui pour elle fera office d’expérience initiatique, la jeune femme à la forte personnalité va se révéler en découvrant des ressources en elle qu’elle ne soupçonnait pas. En passant du statut d’épouse fortunée à celui de naufragée en haillons, seule présence féminine parmi une meute d’hommes livrés à eux-mêmes, pas forcément bien intentionnés et « en manque d’affection », elle va devoir défendre sa peau et faire preuve de courage. Dépossédée de ses privilèges mais féministe avant l’heure, elle ne se montrera pas pour autant disposée à céder si facilement aux avances de Cornélius, et s’opposera même à lui en prenant la défense des plus vulnérables face aux nervis de ce dernier.
Le dessin réaliste de Thimothée Montaigne reste toujours efficace et maîtrisé, mais on retiendra surtout la grande expressivité des visages. Dans sa tournure académique, il est tout à fait adapté à ce genre d’histoire, même si, on ne va pas se mentir, ce type de proposition est destinée à faire un carton auprès du public. Mais l’essentiel est que, comme on peut souvent le vérifier, cela ne soit pas au détriment de la qualité. Force est de constater que le duo Dorison/Montaigne a très bien fonctionné dans cette aventure.
Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 31 mars 2025 |