Mélancolie américaine de Joyce Carol Oates

Mélancolie américaine de Joyce Carol Oates
(American melancholy)

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Anglophone

Critiqué par Septularisen, le 19 novembre 2024 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 227 

«Et nous te rejoindrions en enfer, si tu voulais de nous»

«Lire la Nation dans un hamac de chanvre»

«C’est la saison où les maris s’allongent
dans leur hamac de chanvre pour la dernière fois
lisant la Nation dans une lumière déclinante d’automne
avant que le crépuscule monte de la terre
avant de ne pas savoir si (jamais)(de nouveau) la terre
tournera sur son axe vers la lumière, le grand brasier
de la lumière, si elle ramènera les maris à la lumière
dans leur hamac de chanvre lisant la Nation.»

«Mélancolie américaine», est le premier recueil de poésie traduit en français de la grande écrivaine américaine Joyce Carol OATES (*1938, ci-après dénommée JCO). Dans une poésie en prose, avec une langue riche mais très moderne, très actuelle, JCO nous parle de l’Amérique, plus particulièrement de son Amérique!

JCO (s')interroge, dénonce et fustige l’Amérique, car elle la considère comme amnésique et malade. Ses poèmes crient. Ils disent la peur de la perte, le vide intérieur, les scandales… JCO s’exprime sur les sujets les plus divers, - mais toujours de façon très originale je dois dire -, allant de la supériorité du chat sur le chien, en passant par les travailleurs de l’Amérique profonde, jusqu’à l’ivresse du pouvoir des hommes politiques, dans une Amérique aux repères démocratiques vacillants… Une Amérique malade donc, malade de son racisme et de sa violence, malade des dérives de ces hommes, qui pourtant sont censés la protéger…

«Langue des signes américaine» (Extrait)

«Sur l’estrade
Mesuré et grave comme un métronome
le poète (blanc, homme) au crâne
chauve luisant rumine en syllabes
gnomiques sur la mort
de Tamir Rice, l’enfant (noir) de douze ans
abattu en un clin d’œil dans un parc
par un policier de Cleveland
prétendant avoir pris
le pistolet en plastique du garçon
pour une «arme réelle»
avide comme la sienne
de tirer et de tuer»
(…)

Ce sont des poèmes intimes, en vers libres, rythmés par les répétions, et des verbes à l'infinitif, qui peuvent parfois être très longs (jusqu’à six pages…), très lucides, très inventifs, qui nous parlent de l’Amérique profonde, de ses habitants, de ses travailleurs pauvres, de son système de santé défaillant…

«Palliatif» (Extrait)

1.

Hais l’espoir !
Arsenic pris des semaines
par microgouttes
sur des langues crédules.

Espoir, la chose
aux ailes infectes
claquant
autour de nos têtes
écrasée enfin d’in coup de balai
Piétinée, pulvérisée.

Maintenant, pureté du silence
juste le goutte-à-goutte minimal – solution saline,
Dilaudid.
Juste la respiration oppressée et arythmique
la poitrine qui se soulève, retombe – se soulève,
retombe.
Le plus faible des échos – Renoncer.

Mais aussi l’Amérique de ses écrivains, de ses scientifiques aux expériences douteuses, de ses peintres, de ses chanteurs, de ses poètes, de ses acteurs …

«À Marlon Brando en enfer»

«Parce que tu as étouffé ta beauté dans la graisse.
Parce que tu as fait de notre adoration, une farce.
Parce que tu étais le mâle prédateur, sans remords.

Parce que tu étais le plus grand de nos acteurs
et que tu as jeté
la grandeur aux ordures.
Parce que tu ne pouvais prendre au sérieux
ce que les autres prenaient pour leur vie.
Parce qu’en faisant cela tu faisais une farce de nos vies.

Parce que tu es mort confit dans la graisse
Et que même alors tu avais vécu trop longtemps.»
(…)

Que dire de plus? Comme je le dis souvent, gardez bien près de vous votre Wiki. En effet, malheureusement pour nous, JCO oublie un peu vite que nous ne sommes pas tous spécialistes de l’histoire des États-Unis d’Amérique. Et que donc beaucoup de noms qu’elle cite dans ses vers, nous sont totalement inconnus! Ainsi p. ex. si je sais fort bien qui est Edward HOPPER (1882 – 1967) (1), je ne connaissais évidemment pas John Broadus WATSON (1878 – 1958), ou bien encore Harry HARLOW (1905 – 1981). JCO regarde en effet ses contemporains et explore les contradictions d'une nation perpétuellement en mouvement, perpétuellement en quête de progrès, - progrès qu'elle ne cesse pourtant de pourfendre -, au nom d'une mythique et illusoire gloire!

Je finis très agréablement surpris, en refermant ce recueil … Décidément, JCO est aussi douée pour écire de la poésie, que pour l’écriture de ses romans. Je vais donc certainement «repartir» pour la lecture de quelques-uns de ses romans, et dans l’attente, je vous laisse, - comme toujours dans mes recensions d'un recueil de poésie -, avec la «voix» du poète, qui d'ailleurs est une poétesse dans le cas présent …

«Palliatif» (Extrait)

4.

En soins palliatifs le temps s'interrompt.
Les heures deviennent des jours
et les jours, la nuit
et de nouveau le jour, et
la nuit et la bouche
naguère ardente à donner
et recevoir les baisers
est molle, muette.
Et la respiration ralentit
asymétrique
comme un bateau prenant de la gîte
Et les rêves fiévreux font rage
sous des paupières bleuies
frémissant d'une vie secrète.
Et puis finalement le soupir le plus profond
de toute une vie...
(…)

(1). : Cf. Ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/search2/…

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Les éditions

  • Mélancolie américaine [Texte imprimé], poèmes Joyce Carol Oates traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude Seban
    de Oates, Joyce Carol Seban, Claude (Traducteur)
    Points / Points. Poésie
    ISBN : 9791041416158 ; 9,30 € ; 31/05/2024 ; 144 p. ; Poche
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