Agadir de Mohammed Khaïr-Eddine

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Arabe , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Pucksimberg, le 4 décembre 2024 (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans)
La note : 8 étoiles
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Le tremblement de terre à Agadir comme sujet littéraire

Mohammed Khaïr-Eddine est sans doute l’un des écrivains marocains les plus talentueux avec une écriture ciselée, poétique et au pouvoir évocateur indéniable. Dans ce roman, un fonctionnaire est envoyé à Agadir, suite au grand tremblement de terre de 1960 qui a détruit une grande partie de la ville et tué près de 12 000 personnes. Il rencontre des survivants, s’interroge sur la possibilité de reconstruire une ville sur les décombres de cette dernière … Ce tremblement de terre permet aussi au personnage de se souvenir de son passé, de son grand-père et d’autres individus …

La structure de ce roman peut être déroutante. Comme c’est souvent le cas avec cet écrivain, l’écriture est très poétique, parfois hermétique, la trame même peut interroger le lecteur. Il faut donc accepter d’embarquer dans un univers onirique qui reflète la pensée de l’écrivain. Certains passages sont en vers, d’autres en prose. Il y a aussi des paragraphes dans lesquels il n’y a pas de ponctuation, d’autres avec des phrases extrêmement longues qui nous emportent dans l’imagination de Khaïr-Eddine. Certaines pages sont aussi des scènes de théâtre qui donnent la parole à divers personnages impuissants. On a le sentiment que le séisme a aussi touché la langue de l’auteur. Ce texte a un côté fragmenté et en même temps il y a une certaine unité. Derrière cet univers fantaisiste, l’écrivain porte un regard juste et critique sur le pays. Le roman n’est absolument pas déconnecté du Maroc et de l’épisode meurtrier qui a marqué Agadir. Le roi est aussi évoqué, parfois critiqué. Les Français sont aussi discrètement mentionnés.

Ce roman possède une force incroyable pour le lecteur qui aime la poésie, autrement il pourra vraiment sembler déroutant. Certains passages sont très beaux comme ces nombreuses pages qui reposent sur l’anaphore du mot « sang » et qui ne cessent d’envoyer plein d’images dans l’esprit du lecteur. Le roman alterne des passages limpides et des passages plus complexes. Ce travail sur le rythme est appréciable. L’on mesure tous les enjeux de ce roman quand on a terminé sa lecture, on établit ainsi des passerelles entre les diverses sections. Il se trouve que l’écrivain lui-même a été envoyé à Agadir par la sécurité sociale pour traiter des dossiers d’adhérents. Il est intéressant de voir comment cet épisode a été transfiguré dans cette œuvre.

« … mon sang tu as l’œil terroriste, mon sang tu as fui d’une gibbosité de main de maître empierrée, mon sang dans quoi tintent des chaînes et des vraies cloches de palais, mon sang qui passe une mauvaise après-midi et qui passera une mauvaise nuit et un lundi de rides, mon sang tu ne gagnes pas aux loteries, mon sang tu traînes ta sauce juteuse giclée d’un fond de sève d’astres égorgés sur le silex et le caroubier sur les dernières volutes du vertige et d’un renoncement remis, mon sang tu écoutes l’abîme et les vétérans qui savent bien prononcer les mots usine boîte de conserves et mandat-carte, mon sang tu n’as pas compris que tu dois faire tes ablutions comme un bon musulman, mon sang je dois crever un jour, je claque les portes de mon sang, je perds dans ses marasmes le Rubis des rubis … »

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