Les derniers Américains de Brandon Taylor

Les derniers Américains de Brandon Taylor
(The late Americans)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Pucksimberg, le 22 décembre 2024 (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 110 

Une photographie de la jeunesse américaine artiste d'aujourd'hui

De jeunes poètes, danseurs, peintres, pianistes sont les personnages principaux de ce roman de Brandon Taylor. Ils sont étudiants à Iowa City et sur le point d’avoir une vie d’adulte, entre errances amoureuses et questionnement sur le sens qu’ils donnent à leur art. Les considérations matérielles vont aussi les aider à grandir. Il y a Seamus, ce poète blanc, écorché vif qui travaille dans les cuisines d’un hôpital. Il y a aussi Ivan, le danseur russe, engagé dans une relation tendue avec Goran qui souhaite se lancer dans les finances. Mais il y a aussi Timo, Fatima, le peintre Stafford, Fyodor le russe … Ils sont essentiellement homosexuels et privilégient le plaisir sans inhibition.

Je ne connaissais pas du tout Brandon Taylor même si j’avais souvent vu « Real life » en librairie. Ce roman est assez passionnant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les personnages principaux ont souvent des discussions sur l’art. Cela reste toujours agréable pour un lecteur de lire des dialogues sur ce domaine. Les personnages ne confrontent pas toujours leurs points de vue sur ce point, ils peuvent aussi aborder des sujets très prosaïques ou crus. Le milieu universitaire est aussi un motif intéressant, qui incarne un peu cette phase qui permet de passer de l’adolescence au monde adulte. On voit ici comment ces personnages se sont construits et combien ils ont dû parfois composer avec des traumatismes ( viol, violence, enlèvement d’êtres chers … ). Chaque chapitre se focalise surtout sur un personnage, mais on y croise à l’intérieur les autres personnages du roman. Brandon Taylor est lecteur de Zola et de Balzac, donc ce procédé provient sans doute de ces lectures-là qu’il a affectionnées. A la fin du roman, on a le sentiment de bien connaître ce microcosme d’artistes en herbe.

Le lecteur pourrait avoir l’impression de lire une histoire assez commune sur des étudiants, pourtant il n’en est rien. L’écrivain fait une photographie de cette jeunesse actuelle et le roman pourrait presque avoir un intérêt sociologique. De plus, l’auteur peut dérouter le lecteur en ne choisissant pas les voies faciles qui se présentaient en lui durant la rédaction de son roman. Par exemple, l’un des personnages a été marqué par l’enlèvement et la disparition de sa sœur quand il était enfant. Ce point est évoqué, mais ne devient pas le nœud qui expliquerait la psychologie du personnage et même nous passons très vite à autre chose. Un autre personnage se voit contraint de se taire après une tentative de viol. Cela est abordé sur quelques pages et nous passons encore à autre chose, sans tomber dans le roman polémique ou la dénonciation. Ces personnages ne basculent jamais dans la pathétique malgré la solitude parfois, l’adultère ou des traumatismes. L’écrivain les respecte et leur confie une certaine dignité et ne joue pas sur leurs faiblesses pour créer une sympathie facile chez le lecteur. La voix narrative que l’écrivain a trouvée est juste et diffère de celles que l’on rencontre souvent en littérature.

J’ai pris plaisir à découvrir tous ces personnages. La force de l’auteur est d’avoir rendu attachants certains personnages qui auraient pu agacer. Seamus peut être dur avec les autres et ne ménage pas ses camarades durant les cours d’écriture poétique, mais il reste touchant. La peinture de cette jeunesse est marquante, c’est notre monde actuel qu’il dépeint avec ce capitalisme agonisant. Et ces personnages sont en quête de sens sur leur futur, sur leurs potentielles professions, sur la notion de couple et le désir … Ils ont parfois une certaine insouciance et ne s’encombrent pas d’une vie formatée dictée par les générations précédentes. Un hétéro peut avoir une expérience homosexuelle sans s’en formaliser, la fidélité semble un concept daté, les traumatismes sont vus comme un événement marquant, pas comme un moment de bascule, l’on peut se disputer violemment avec une personne sans passer ensuite par le cap de la réconciliation … Ces personnages auraient presque un rapport au réel différent du nôtre, et conforme à cette jeunesse.

The Guardian : « L’un des écrivains les plus importants de sa génération. »

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