Champs de bataille: L'Histoire enfouie du remembrement de Inès Léraud (Scénario), Pierre Van Hove (Dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

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L'histoire du remembrement en BD
Après Les Algues vertes, enquête sous forme de bande dessinée parue en 2019 qui dénonçait les causes d’un fléau particulièrement présent sur les plages bretonnes, album qui avait fait sensation au point d’avoir été adapté au cinéma en 2023, Inès Léraud récidive avec une nouvelle enquête consacrée, cette fois, au remembrement. Comme pour Les Algues vertes, c’est à Pierre Van Hove qu’ont été confiés les illustrations et dessins de l’album.
Aujourd’hui, quand nous nous promenons dans tel ou tel coin de campagne française, nous ne mesurons pas nécessairement les changements, les bouleversements même, que connurent ces paysages il n’y a pas si longtemps. Encore heureux s’il reste des chemins pour s’y promener car, dans certains lieux, ils ont été supprimés pour laisser place aux routes que peuvent emprunter les engins agricoles.
Ce n’est pas pour rien que la bande dessinée dont il est ici question est sous-titrée « L’histoire enfouie du remembrement ». La plupart des acteurs de ces événements étant aujourd’hui disparus, nombreux sont ceux qui ne savent rien ou pas grand-chose de cette histoire, celle du remembrement initié au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et poursuivi des années durant, malgré les fortes oppositions de beaucoup de ceux qui étaient directement concernés.
L’album d’Inès Léraud et Pierre Van Hove s’ouvre avec une histoire dramatique survenue sur la commune de Damgan (Morbihan) en 1953 : un paysan n’ayant plus de champs pour y mettre ses bêtes s’était suicidé en se jetant dans un puits. Des tragédies de cette sorte, il y en eut beaucoup et l’on sait que, aujourd’hui encore, c’est dans le monde agricole que l’on déplore un des plus hauts taux de suicides par habitants.
Que s’est-il passé ? Là comme ailleurs, seules comptèrent des questions de rentabilité. Pour ne pas se laisser distancer par d’autres pays, les technocrates appuyés par de nombreux politiques crurent nécessaire de redessiner les terres agricoles pour rendre les champs plus accessibles et plus facilement cultivables par des machines. En conséquence, chaque fois qu’avait lieu un remembrement dans une commune, cela se concrétisait non seulement par la destruction des talus, des haies et des vergers mais aussi par la disparition des petits paysans au profit des gros.
Inès Léraud rappelle que, néanmoins, dans plus d’une commune il y eut de fortes oppositions et que le remembrement ne put être rendu effectif qu’au moyen de la force. Ainsi prend-elle pour exemple la commune de Fégréac en Loire-Atlantique. Les conflits y furent tels que l’Etat dut préconiser une répression sévère. Les habitants se divisèrent les uns contre les autres. Prenant ensuite le cas de l’Ille-et-Vilaine, Inès Léraud remonte plus loin encore dans le temps, jusqu’à des décisions prises par le régime de Vichy. Elle s’avisera aussi, d’ailleurs, que, après la guerre, le gouvernement présidé par de Gaulle, pour ce qui concerne le plan agricole, n’a opéré aucune rupture avec celui de Vichy. Puis, la journaliste mène son enquête en 2015 à Maël-Pestivien, dans les Côtes d’Armor, où elle constate que tout a disparu aussi bien les commerces que les nombreuses fermes d’autrefois. Il ne reste rien.
Les syndicats, en particulier la FNSEA, tout comme l’INRA, tout comme la JAC, appuyèrent, chacun à sa manière, les processus de remembrement en cours, cela alors que de nombreux paysans en souffraient. Un ancien de la JAC l’affirme : « Aujourd’hui, je réalise que la JAC a beaucoup poussé à l’agrandissement des fermes. » Comme par hasard, le secrétaire général de la JAC d’alors, Michel Debatisse, est devenu ensuite président de la FNSEA.
À Trébivan (Côtes d’Armor), pourtant, c’est un paysan de droite catholique, Raymond Fourrier, qui organisa la lutte contre le remembrement de sa commune. Avec Joseph Le Coënt, ils voulaient sauver ce qu’ils appelaient la « civilisation du bocage ». Hélas ! Malgré les luttes, malgré les arrachages de bornes, ce sont les bulldozers qui, dans de nombreux endroits, effectuèrent le saccage. En Haute-Vienne comme dans le Finistère et dans tant d’autres lieux, les constats écologiques sont accablants. Des espèces d’oiseaux, hiboux, rossignols, hirondelles, ont disparu de certains lieux. Les cours d’eau redessinés eux aussi et ne rencontrant plus d’obstacles provoquent des inondations. Les particularités locales ont été méprisées. Quant à René Dumont, pendant longtemps promoteur du productivisme, il changea complètement d’avis à 70 ans pour devenir le premier candidat écologiste à la présidentielle (1974).
Aujourd’hui, en 2025, si tout cela peut paraître de l’histoire ancienne, il n’est pas inutile de s’y replonger au moyen de cette excellente BD, d’autant plus que nous subissons encore et toujours les conséquences de cette désastreuse politique de remembrement. Et nous savons que cela n’ira pas en s’améliorant, au contraire, étant donné les catastrophes générées, de plus en plus, par le changement climatique et les pollutions de toutes sortes, pesticides et autres.
Les éditions
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Champs de bataille [Texte imprimé], l'histoire enfouie du remembrement Inès Léraud [dessins], Pierre Van Hove
de Léraud, Inès Van Hove, Pierre (Illustrateur)
la Revue dessinée
ISBN : 9782413075134 ; 23,75 € ; 20/11/2024 ; 192 p. ; Broché
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