Critique et création
de Jacques Rivière

critiqué par Poet75, le 9 avril 2025
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
A la découverte d'un grand critique et écrivain
Pour peu qu’on se soit intéressé à l’histoire littéraire du début du XXème siècle, il est fort probable qu’on ait rencontré le nom de Jacques Rivière. Ami d’Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes, dont il épousa la sœur, il fréquenta un grand nombre d’hommes de lettres, de Proust à Claudel en passant par Gide, d’autant plus qu’il intégra, en 1911, la déjà prestigieuse Nouvelle Revue Française (NRF), dont il devint, après la guerre où il fut fait prisonnier, le secrétaire puis le directeur. Malheureusement, il mourut jeune, à 38 ans, le 14 février 1925, emporté par la fièvre typhoïde.
Ce nom de Jacques Rivière, fréquemment lu par ceux qui aiment les auteurs que j’ai précédemment cités, d’autant plus qu’il échangea de nombreuses lettres avec eux, ce nom est celui d’un véritable écrivain, bien plus qu’un journaliste, même s’il écrivit essentiellement des textes de critique, bien plus que de fiction (ses rares essais dans ce domaine n’étant guère convaincants). En publiant aujourd’hui un gros volume rassemblant de nombreux articles, essais, conférences et textes divers de Jacques Rivière, les éditions Bouquins comblent un manque car ses écrits n’étaient, depuis longtemps, plus disponibles.
C’est une lecture exigeante certes, mais exaltante qui s’offre à nous. Un grand nombre de ces textes, bien évidemment, ressortissent à la critique littéraire qui était le domaine de prédilection de Rivière, à commencer par les textes qu’il consacra à son ami Alain-Fournier et à son Grand Meaulnes. Mais on remarquera combien il fut attentif à la nouveauté, combien il lut et critiqua abondamment l’avant-garde littéraire de son époque. Certes, il s’égara un temps du côté de Barrès, mais il se reprit en commentant longuement et avec sagacité les œuvres de Gide, de Claudel, de Proust et même du mouvement Dada. Lui qui s’élevait contre le symbolisme et appelait de ses vœux la survenue de nouvelles formes de ce qu’il appelait le roman d’aventure, il fut comblé lorsque parurent les premiers volumes de la Recherche du Temps perdu.
Cela étant, Jacques Rivière ne limita pas ses intérêts à la seule littérature. Il fut curieux de tout, à commencer par les autres arts, en particulier la peinture et la musique. On lira avec intérêt les textes qu’il écrivit sur Paul Gauguin, André Lhote, Cézanne, Georges Rouault ou sur le cubisme. Du côté de la musique, il se passionna pour Debussy, Dukas, Borodine, Bach, Stravinsky et, évidemment, Wagner. Plus originalement, il fut un observateur et un témoin de son temps et écrivit des textes politiques, entre autres pour un journal luxembourgeois ! On remarquera combien, parfois, il fut clairvoyant, par exemple en appelant de ses vœux la constitution d’une « communauté européenne » pour mettre fin aux conflits qui déchiraient et ensanglantaient le vieux continent.
Comme je l’ai déjà indiqué, ce gros volume des éditions Bouquins s’achève avec de rares essais de fiction qui ne comptent pas, à mon avis, dans ce que Rivière a écrit de meilleur. Notre homme était un excellent critique mais un piètre auteur de romans. Ce qui est certain, quoi qu’il en soit, c’est que l’édition de cet ouvrage d’un peu plus de mille pages est la bienvenue.