Henua
de Marin Ledun

critiqué par Poet75, le 17 avril 2025
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
L'envers des Marquises
En règle générale, les auteurs de polars, tout en s’efforçant de captiver le lecteur au moyen d’une intrigue à rebondissements et de personnages, si possible, pas trop convenus, suggèrent, voire mettent très en évidence, des caractéristiques de la société et de l’environnement dans lesquels évoluent ces derniers. Et quand l’action d’un polar se déroule bien loin de la France métropolitaine, voire carrément aux antipodes, la découverte peut s’avérer d’autant plus passionnante. Avec ce roman de Marin Ledun, nous voilà servis puisque ce dernier nous emmène aux îles Marquises, des îles dont nous ne savons peut-être pas grand-chose, en dépit des tableaux de Gauguin et d’une des chansons ultimes de Brel.
‘Gémir n’est pas de mise / Aux Marquises », chantait-il. Nous voulons bien le croire, même si le contenu du roman de Marin Ledun nous confronte à bien d’autres réalités que celles de la chanson et à bien d’autres images que celle des peintures de Gauguin. Certes, aux îles Marquises, et Marin Ledun en fait quelques descriptions, les paysages, la faune, la flore sidèrent par leur beauté. Mais il n’est pas question, pour le romancier, de s’y complaire car il est d’autres réalités, beaucoup moins belles, qu’il ne saurait ignorer. Et l’enquête policière dont il est question en fait découvrir les aspects les moins reluisants.
Marin Ledun n’est pas marquisien, mais il s’intéresse à l’histoire de ces îles et semble, en effet, bien la connaître, ce que l’on peut vérifier, par exemple lorsque, à deux reprises, il évoque les missionnaires catholiques picpuciens qui les évangélisèrent. Dans une interview, il explique qu’il apprend la langue marquisienne. D’ailleurs, dans le roman, de nombreux termes marquisiens apparaissent, à commencer par Te Henua Ènata, la terre des hommes, le nom donné par les Marquisiens à leurs îles. De plus, le romancier a eu la bonne idée d’imaginer, comme personnage principal du récit, un enquêteur venu de métropole. En vérité, c’est un métis, mais sa mère, marquisienne, avait quitté les îles avant sa naissance. Tepano Morel (c’est son nom) est, en conséquence, un personnage idéal : il doit tout apprendre, tout découvrir, tout en cherchant à connaître ses racines maternelles. Pour nous, lecteurs, c’est parfait car nous pouvons assez bien nous identifier à lui.
Quant à l’enquête, elle se concentre sur l’assassinat d’une jeune femme du nom de Paiotoka O’Connor. Par ce biais (je n’en dis pas davantage sur l’enquête elle-même afin de n’en rien dévoiler à d’éventuels lecteurs), l’auteur nous invite à entrevoir les mystères de l’archipel, son histoire, ses réalités sociales. Ainsi le roman nous confronte-t-il non seulement à la christianisation des Marquises par les picpuciens, mais aussi à la volonté d’un nombre important d’autochtones de renouer avec les coutumes ancestrales qui prévalaient avant l’arrivée des missionnaires. Il est question aussi du spectre des essais nucléaires et des conséquences de la colonisation. Enfin et surtout, le roman confronte le lecteur à de tristes réalités, outre à la chasse prohibée d'une espèce protégée de pigeon, le úpe, aux violences intrafamiliales, à l’alcoolisme, à la prostitution. Le roman terminé, si les Marquises nous feront moins rêver qu’auparavant, nous aurons le sentiment de ne nous être pas contentés d’images de cartes postales mais d’avoir réellement entrevus quelque chose de ce qui se vit dans ce lointain archipel, en particulier sur l’île de Nuku Hiva.