Figures de la Terre de Marie-Claire Bancquart
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Francophone

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«Et ta main dans la mienne, et le grand espace respirant.»
«Et si la terre
Était simple dans sa rondeur ?
Si nous n’avions pas su la caresser ?
Dérobée loin de nous
elle nous aurait abandonnés en solitude.
Nous retenons d’une main, au téléphone.
la peau du temps, le peu du temps :
allo de qui, allo pourquoi,
nouvelles,
rendez-vous.
La terre tourne, oui, mais c’est en notre absence…»
Par un étrange paradoxe Marie-Claire BANCQUART (1932 – 2019) est avant tout connue comme romancière et pourtant elle se voulait avant tout… poétesse!
«Comme je t’ai cherchée, la vie,
dans les êtres de sang et d’écorce
dans la grande bouche de l’éléphant,
dans la miette de chair du scolopendre !
Quelques fois, la vie,
tu bats dans le regard inexplicable d’une bête,
mais tu ne m’as
jamais
choisie, aimée, spontanément,
… Ou bien si c’était moi qui repoussais tes avances ?»
«Figures de la Terre» (2017), est donc un petit recueil (80 pages…) de ses poésies qui est paru bien après que sa réputation de poétesse fut définitivement établie, avec le recueil de «Terre énergumène» (2009).
«Un numéro d’urgence
pend au collier du chien, comme à celui de sa maîtresse,
en promenade
sur le trottoir.
Toutes indications perdues, ce serait
lui au refuge
elle a l’asile.
Bien plus tard, qui sait, un hasard possible :
leur retrouvaille
des siècles après
tous les deux dans la terre des morts,
mêlés.
Sans adresse ni téléphone.»
Elle reprend ici quelques-uns des thèmes favoris, citons, - entre autres -, la nature, le temps qui passe, la maladie, les souvenirs, la fin de vie, l’écorce des arbres, la nuit, la mort qui rôde et n’est jamais loin, la photographie, le cinéma, la vie, l'herbe, les vieilles choses usées, etc etc…
Elle pose sur toutes ces choses son regard mélancolique, mais toujours lucide et sans complaisance...
«Qui parmi les dieux,
s’occupe
des multinationales ou du plastique ?
Il y eut
le dieu des cendres, des fourmis, des bouffées d’air.
C’était nature.
Il y eut
le chapeau d’or de l'obélisque
pour rendre hommage au ciel, qui surpasse
l’homme.
C’était prière.
Maintenant, nous sommes bien seuls.»
Attention toutefois, ce n’est pas une nostalgique, elle ne se retourne pas, ne regarde pas vers l’arrière, mais se tourne vers l’avenir et vit avec son temps, malgré les difficultés, malgré un monde dans lequel elle ne se reconnaît plus…
«Tous les liens sont cliquables.
Je reçois cette information de mon ordinateur,
et le temps
soudain
me paraît touchable et fragile.
Ces mots n’auraient eu aucun sens quand j’étais
jeune.
Mais, d’un âge assez mûr pour rechercher dans
un livre, je sais que ces mots très jeunes vont vite
s’expliquer…»
La preuve? La poétesse est p.ex. très sensible à l’écologie, elle qui aime tant caresser l'écorce des arbres qu'elle croise lors de ses promenades matinales…
«Désormais le temps change à peine
de juin à décembre, à juin.
Est-ce une méditation des planètes
sur les variantes à ne pas garder ?
- Tout se développe, grandit, tombe vite,
renie les demi-saisons, la lente adolescence.
Douce bête que l’on caressait, la Terre
au galop
fait désormais violence à ceux qui la tourmentèrent.»
C’est une poésie rude, franche, directe, avec des vers très courts, très peu de virgules, quelques points et aucun titre, et presque aucune majuscule… C’est une poésie qui ne nous ménage en rien et ne nous épargne en rien, ni des petits plaisirs quotidiens de la vie, ni des menus désagréments qui peuvent nous arriver tous les jours et qu'elle s'efforce «d'apprivoiser» avec sagesse et patience…
«Tout un paysage
au fond du verre
tenu
par une femme assise
près de la fenêtre.
Un ciel, d’abord, qui éblouit.
Peu à peu du gris, un nuage
et dans le nuage
quelques touches sombres.
Un verre une femme un monde
rencontre
qui
pour se produire
demanda des millions d’années.»
L’art poétique de Mme. BANCQUART s’exprime ici tout entier et en… très peu de mots!.. Les petites joies quotidiennes, les caresses, le dehors imprimé sur le verre de la vitre, la menace qui guette de «L’autre côté». La peu qui reste, la question, et au-dessus de tout, la gisante athée prête pour le long sommeil, et le silence qui s’installe…
«On regarde la fin
Qui nous regarde.
In fine, c’est la conclusion bien connue,
La fin triomphe, après quelques épisodes :
Impasses
où elle s’égara,
jeux de trottoir
où elle croyait trouver asile.
Maintenant le spectacle change, sous la lumière du
soir. Tout est plus semblable et moins angoissé.
Nous nous rappelons que la parole n’est sans doute
pas nécessaire, car notre mot « mot », si longtemps
Cherché, si troublant, vient du latin « mutus »,
Muet… Oui, quand le e muet tente de s’expliquer, il trouve un son : le mot.
Puis il s’esquive, ayant mesuré son insuffisance.
Ainsi, poète, à petit bruit,
tu rejoins ton frère :
le silence.»
Ne vous y trompez toutefois pas! Lire un poème de Mme. Marie-Claire BANCQUART, c’est lire l'une des œuvres les plus remarquables de la poésie française du XXe S.
Laissons maintenant pour finir, - comme toujours -, la place à la poétesse et a sa poésie…
«Je vous renvoie
la lettre de l’oiseau bleu, qui ne m’était pas destinée.
Mon ciel
n’est pas de sa couleur,
mais
changeant toujours
entre les nuages
il peut sourire sur
des oiseaux timides, cherchant leur vie.
Sourire, oui.
Alors
les oiseaux et moi
nous nous intéressons à la beauté des mots, des ombres,
mais nous ne pourrions prendre
la responsabilité d’un grand bonheur constant et bleu.»
Rappelons que Marie-Claire BANCQUART a reçu entre autres le Prix Kowalski/Grand prix de poésie de la Ville de Lyon en 2005, le Prix Paul Verlaine en 2006 et le Prix Robert Ganzo de poésie en 2012.
Les éditions
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Figures de la Terre
de Bancquart, Marie-Claire
Editions PHI / Graphiti
ISBN : 9789995937409 ; 01/05/2017 ; 84 p. ; Poche
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