Vénus privée : La première enquête de Duca Lamberti
de Giorgio Scerbanenco (Scénario), Paolo Bacilieri (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 8 juin 2025
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une déception malgré un potentiel prometteur
résumé : Dans la périphérie de Milan, le corps sans vie d'une jeune femme, Alberta Radelli, est découvert sur un terrain abandonné. Parallèlement, Duca Lamberti, fraîchement sorti d'une longue incarcération pour avoir mis fin aux souffrances d'une patiente en phase terminale, reçoit une proposition d'un industriel fortuné. Ce dernier lui offre une rémunération pour soigner son fils, Davide, un jeune homme en proie à l'alcoolisme. Ce dernier se croit responsable du meurtre d'Alberta.

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Je n’irai pas par quatre chemins : cet ouvrage m’a déçu alors que j’en attendais le plus grand bien. Cela ne remettra évidemment pas en cause l’estime que j’ai pour l’éditeur Ici Même qui nous fait toujours des propositions originales avec des auteurs intéressants. A ce titre, Paolo Bacilieri n’est pas un jeune premier, ses premiers ouvrages ayant été publiés en France dans les années 80 par Casterman (« Le Trésor des Imbalas ») et L’Echo des savanes (« Le Bavard »), sous le pseudo Baciliero.

Les premières pages de « Vénus privée », adaptation d’un roman de l’auteur italien Giorgio Scerbanenco (compatriote de Bacilieri donc), nous avaient mis pourtant en appétit. Sur fond d’enquête policière à propos d’un féminicide, l’histoire débute par la rencontre entre Auseri, un riche industriel et un médecin légiste qui sort de prison, mis en cause dans une affaire d’euthanasie. Et on peut le dire, c’est plutôt intrigant. Auseri confie au médecin la tâche ardue de guérir son fils devenu alcoolique, qui se sent responsable de la mort de la jeune femme. Et le fils à papa en question, Davide Auseri, on le découvre d‘abord à travers le portrait pas très reluisant dressé par le paternel. Puis lorsqu’il apparaît de plein pied, comme s’il venait de se prendre une brique sur le crâne, on se dit qu’on a affaire un sacré morceau, dont on se demande ce qui peut bien se tramer dans sa tête. Le gars est taciturne et semble rétif à envisager toute relation avec une femme, et son seul plaisir semble se limiter à la bibine et à son coupé Alfa Roméo dont il aime faire rugir le moteur sur les autostrades italiennes. Est-ce un psychopathe ou une victime ? C’est ce que l’histoire va nous révéler…

Le point fort de l’objet, c’est avant tout le dessin noir et blanc, dans le style des comics alternatifs US, avec moult hachures, croisillons et diverses trames. Le trait est semi-réaliste, les visages sont expressifs (malgré un léger problème d’identification), et on appréciera également les scènes urbaines dans le Milan des années 70.

Quant à l’histoire en elle-même, elle ne s’avère au final qu’une enquête policière assez traditionnelle, pour ne pas dire ordinaire. Tant mieux pour les amateurs sans doute, mais d’autres comme moi qui auraient tendance à privilégier les peintures psychologiques en ressortiront quelque peu frustrés. Il y avait pourtant du potentiel avec plusieurs protagonistes à la forte personnalité, mais qui restent néanmoins quelque peu stéréotypés.

Toute cela aurait pu faire de « Venus privée » une œuvre honnête, mais c’est lorsqu’on en vient à la fluidité de lecture que tout se gâte. Paolo Bacilieri aurait-il un souci avec les phylactères ? J’ai voulu vérifier des extraits de ses autres productions, et leur conception très particulière, qui les font parfois ressembler à de longs tuyaux reliant une pléthore de bulles entre elles, empiétant très souvent sur le dessin, ou alors de gros boyaux pointant vers la bouche des personnages, semble être une marque de fabrique chez lui. Le problème, c’est que très souvent ici, on ne sait pas qui parle vraiment, ce qui nécessite un effort dont on se passerait bien. Et le fait qu’il y en ait à profusion, parce qu’en plus c’est très bavard, finit par provoquer une asphyxie mentale. On en arrive alors à se désintéresser complètement de l’intrigue et de ce qui peut arriver aux protagonistes.

Et pourtant, « Vénus privée » semble avoir eu de l’intérêt pour certains, puisque le livre était en sélection officielle pour le Fauve polar lors du dernier festival d’Angoulême. N’ayant pas lu l’œuvre originale, je ne peux pas véritablement me prononcer sur sa qualité, mais cette adaptation pesante ne me paraît pas lui rendre hommage, si tant est que cela soit le but. Ce qui amène à la conclusion suivante : les phylactères qui savent se faire oublier constituent l’un des critères essentiels pour une bande dessinée réussie. A bon entendeur !