Retour à Tomioka
de Laurent Galandon (Scénario), Michaël Crouzat (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 8 juin 2025
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Fukushima banzai !
Résumé : Aux environs de Fukushima, deux ans après la catastrophe nucléaire, Osamu et Akiko vivent des jours tranquilles sous la tutelle de leur grand-mère qui les a recueillis, suite à la disparition de leurs parents. Le jour où celle-ci décède, ils vont devoir partir précipitamment à Tokyo pour habiter avec leur tante et leur oncle. Mais Osamu ne l’entend pas de cette oreille. Le jeune garçon veut d’abord disperser les cendres de sa mamie à Tomioka, là où l’attend Grand-père et ses animaux, au mépris des interdictions et des risques encourus. En effet, la région, lourdement contaminée lors de l’accident, est devenu une zone interdite…
---------

Si « Retour à Tomioka » a toutes les apparences d’une lecture jeunesse, elle devrait pouvoir séduire tout aussi bien les grands enfants jusqu’à 77 ans et plus… Il est d’ailleurs difficile de classer cet album dans une catégorie quelconque. Aventure intimiste et poétique, « Retour à Tomioka » est un manga au format franco-belge, co-réalisé par deux auteurs français : Laurent Galandon au scénario et Michaël Crouzat au dessin, ce dernier étant un nouveau venu dans la bande dessinée.

Elément notable : d’’un sujet anxiogène lié à la catastrophe de Fukushima, les auteurs ont réussi à produire quelque chose d’étonnamment apaisant… C’est une très belle lecture qu’ils nous offrent, en plaçant au cœur de l’histoire deux orphelins, en particulier le jeune Osamu qui est prêt à braver les restrictions de circulation imposées par le gouvernement pour rendre un hommage décent à sa grand-mère qui vient de décéder. Lui seul semble en capacité de communiquer avec les yōkai, ces petites créatures espiègles issues du folklore japonais, ce qui ajoutera une touche d’humour au récit tout en permettant de prendre du recul.

En évitant le pathos lié à cette terrible tragédie, Laurent Galandon et Michaël Crouzat ont réussi à produire un récit que l’on pourrait croire imaginé par Hayao Miyazaki lui-même, un récit où la nature fait jaillir toute sa puissante poésie à la façon d’un feu d’artifice, mais cette fois dans la foulée d’une catastrophe nucléaire. Car même si la région de Fukushima semble rayée de la carte, cette nature en mutation, symbolisée par un yōkai atomique monstrueux, montre qu’elle est toujours là et cherche à reprendre l’ascendant sur une invention humaine spectaculaire qui aurait échappé à son créateur…

D’un point de vue graphique, si l’univers évoque celui de Miyazaki, on ne peut également s’empêcher de penser à Jirô Taniguchi pour cette façon de produire une atmosphère rassurante dans ce Japon bien ordonné. Le trait tout en simplicité de Michaël Crouzat est maîtrisé, de même que le cadrage et la mise en page, et quand on sait que cet auteur a longtemps officié dans le dessin animé, il n’y a guère de quoi être surpris, tant les séquences s’enchaînent avec une plaisante fluidité. On pourra relever également le beau travail sur la couleur d’Andrès Garrido Martin et Clara Patiño Bueno, avec des tonalités évoluant en fonction des passages.

Tout cela fait de « Retour à Tomioka » une réussite incontestable qui a largement mérité son prix jeunesse à Angoulême. Il y a beaucoup de magie dans cet album qui nous invite à conserver la meilleure part de notre enfance, cette part qui donne accès au monde invisible et que l’on a trop souvent tendance à oublier lorsque vient l’âge adulte.