Nation cannibale
de In Koli Jean Bofane

critiqué par Pucksimberg, le 11 juin 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Descente en Haïti de Faust et d'autres artistes reconnus
Faust Losikiya est un écrivain congolais de 51 ans, éclaboussé par des scandales dus à ses agissements avec la gente féminine. Il part en Haïti, peut-être pour chercher l’inspiration pour un nouveau roman que réclame depuis longtemps son éditrice. En effet, il est venu s’instruire sur le sort des esclaves et la révolution qui s’ensuivit en 1804. A Port-au-Prince, il y a aussi une biennale d’art et de littérature, qui lui permettra de rencontrer de nombreux artistes. Ce qui est amusant pour le lecteur, c’est que nombre d’entre eux existent bel et bien et sont devenus des êtres de papier dans le roman d’In Koli Jean Bofane. On y croise Alain Mabanckou, Mohamed Mbougar Sarr, Dany Laferrière, Jean-Euphèle Milcé, Makenzy Orcel, Sami Tchak, le sculpteur Freddy Tsimba … Ce dernier fait réellement des œuvres en récupérant des cartouches et des douilles. Que du beau monde ! Ceux-ci se mêlent à d’autres personnages issus de l’imagination de l’auteur. L’auteur intègre aussi une climatologue qui s’interroge sur ce qui se passe dans le ciel qui paraît être généré par une AI, un homme qui a le pouvoir de chasser la pluie et de contrôler le temps, un président du Congo qui cherche à retrouver de sa superbe. Il y a un autre personnage que le lecteur rencontrera, c’est la Mort, incarnée par une très belle femme, sorte de fashion victime vêtue de Chanel. Le roman a quelque chose de baroque par les multiples éléments qui le composent et fait aussi penser parfois à certains roman adu réalisme magique dans sa façon de dépeindre la Mort, qui peut rappeler à certains égards des personnages de Zoé Valdès.

J’ai dévoré ce roman qui permet de se plonger à la fois dans Haïti et dans le Congo car l’écrivain voit beaucoup de points communs entre ses deux pays et les problèmes qu’ils traversent et qu’ils ont subis. Fréquenter toutes ces figures littéraires et artistiques, le temps de la lecture, a un côté excitant. L’auteur connaît toutes ces personnes et prend un malin plaisir à les mettre en scène. Il y a même un passage où lui-même est évoqué dans le roman comme un personnage. Il est intéressant d’entendre ces voix, qui soulèvent des problématiques qui concernent l’Afrique, comme l’esclavage moderne, la relation avec le pays colonisateur, les abus occidentaux comme cet américain qui s’achète un jeune homme pour ses plaisirs sexuels ( d'ailleurs, ce personnage semble un peu représenter de façon provocatrice l'Occidental qui pense qu'il peut tout s'acheter, qui se croit supérieur et qui est homosexuel, point que de nombreux habitants d'Afrique noire rattachent à la décadence de nos pays ... ), les dirigeants africains, les moyens de pression du pouvoir, le vaudou, la relation homme-femme et bien d’autres sujets.

Le texte n’est pas pour autant une production intellectualisée et cérébrale. Certes, elle est pensée et structurée intelligemment, mais l’on sourit souvent et l’on est portés par une énergie incroyable occasionnée par le style de l’écrivain. Il dresse une satire acide de cette société où nul n’est épargné. Le personnage principal n’est pas attachant et incarne une figure masculine ciblée par le mouvement #metoo à juste titre. L’écrivain compose avec la réalité tout en intégrant des figures ou des histoires liées aux croyances de ces pays. Et ces éléments merveilleux surgissent dans le réel des personnages. L’auteur a choisi des titres qui feront sourire le lecteur car ils sont présentés comme des recettes de cuisine, mais ces dernières éclairent sur la réalité.

Je découvre enfin cet écrivain, et j’ai aimé son style, son univers, le dynamisme de son roman et les idées qui sont véhiculées à travers tous ces personnages.