Ségurant, le chevalier au dragon
de Emanuele Arioli

critiqué par Poet75, le 15 juin 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Renaissance d'un chevalier oublié
Nous connaissons tous, peu ou prou, la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. Les aventures de Lancelot, de Gauvain, de Galahad ou de Perceval nous ont fait vibrer. Mais que savions-nous des autres chevaliers que ceux dont il est le plus souvent question ? L’un d’eux, du nom de Ségurant, connut pourtant son heure de gloire. Il fut même le personnage central d’un roman arthurien sans doute écrit entre 1240 et 1279, puis repris dans d’autres textes au XIIIème et jusqu’au XVème siècle. Puis, son nom s’effaça et disparut des mémoires jusqu’à sa redécouverte très récente effectuée par un archiviste paléographe du nom d’Emanuele Arioli. C’est lui qui, découvrant un morceau de texte et une enluminure sur un vieux manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, fut intrigué au point de mener une véritable enquête dans de nombreuses autres librairies d’Europe, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, enquête si fructueuse qu’elle lui permit de reconstituer le texte des aventures de Ségurant, puis d’en proposer une version traduite, accessible aux lecteurs d’aujourd’hui.
Les aventures de ce chevalier, enfin sorti des oubliettes dans lesquelles il était tombé, se divisent en deux parties qu’Emanuele Arioli, dans sa préface, compare aux deux ouvrages qui composent le grand œuvre d’Homère : « la première, enchaînant sans trêve, joutes et combats, est comme une Iliade en miniature, où Ségurant, tel un Achille infatigable et invincible, l’emporte en bravoure et en force sur tous, en s’imposant comme le plus vaillant d’entre les preux et le héros de toutes les prouesses. Au contraire, la seconde, qui le montre traquant sans fin un dragon illusoire, prend l’allure d’une Odyssée de poche, multipliant les quêtes infructueuses et les enchantements maléfiques. »
Autrement dit, ce roman propose, dans sa première partie, le portrait d’un chevalier triomphant, vainqueur de tous ses rivaux, que personne, semble-t-il, ne peut mettre en échec, alors que, dans sa deuxième partie, ce même chevalier, victime d’un envoûtement perpétré conjointement par Morgane et Sibylle l’enchanteresse, se transforme en un homme errant, poursuivant sans répit un dragon plus chimérique que réel qui n’est autre que l’émanation de Lucifer en personne. C’est clairement dans cette deuxième partie que le roman, gagnant en singularité, est le plus intéressant. Ségurant, victime d’un sortilège, perd de sa superbe et, oubliant Arthur et les autres chevaliers, n’est plus que le jouet d’un mirage ou, si l’on veut, le prisonnier du démon qui le hante. Le preux du début du roman, le chevalier valeureux qui n’avait peur de rien, n’est plus qu’un homme tourmenté. Dans sa faiblesse, il nous touche bien davantage que lorsqu’il était invincible.