Une année sans visage
de Gilles Capelluto

critiqué par Laurent.Hennequin, le 19 juin 2025
( - 42 ans)


La note:  étoiles
Un miroir noir, mais humain
Avec L’Année sans visages, Gilles Capelluto signe une œuvre de science-fiction à la fois inquiétante, limpide et poignante. Ce roman court mais intense explore un futur proche où l’effacement numérique d’un individu est devenu possible — voire souhaitable — pour une société qui valorise l’optimisation du bonheur au détriment de la mémoire.

Le style est fluide, le rythme haletant, et les dialogues sonnent juste. On suit Lina, héroïne oubliée de tous, dans une enquête à double détente : comprendre pourquoi elle a disparu, mais surtout, qui elle était vraiment. La révélation progressive de son passé, entre espionnage, amour perdu et résistance cognitive, évoque Black Mirror, mais avec une tendresse humaine rare.

Au-delà de la trame dystopique, le roman interroge avec finesse : qu’est-ce qu’être soi ? Une somme de souvenirs ? Un profil algorithmiquement viable ? Capelluto ne moralise jamais. Il donne à voir. Et dans ce monde où même les morts sont réécrits, la vérité ne vaut pas toujours plus cher que le réconfort.

L’univers est dense sans être surchargé, et chaque personnage — même secondaire — résonne d’une humanité crédible. On pense à Orwell ou Philip K. Dick, mais la voix ici est singulière, plus proche, presque intime. Lina, en reconquête d’elle-même, devient le reflet de nos propres doutes face à l’IA, la mémoire et la normalisation émotionnelle.

Certaines scènes, comme la visite des cerveaux suspendus ou la confrontation finale à la Sorbonne, restent gravées comme des séquences de cinéma intérieur. Le roman assume aussi ses zones de silence, ce qu’on ne peut réparer, ce qu’on choisit d’oublier pour survivre.

En somme, L’Année sans visages est une dystopie sensible, brillante et actuelle. Un récit court, mais qui ouvre grand la porte aux vraies questions. Une réussite.