Nocturnes
de Léopold Sédar Senghor

critiqué par Pucksimberg, le 19 juin 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Les nuits du poète
« Nocturnes » est un recueil de poèmes de Senghor dans lequel il fait la part belle aux femmes, aux signares, dames de la bourgeoisie métisse. Il célèbre leur beauté et la relation qu’il a tissée avec certaines d’entre elles. La femme est tantôt séduisante, tantôt regrettée, parfois désirée, parfois divinisée. Il aborde des épisodes de sa jeunesse dans des poèmes empreints de lyrisme qui peuvent être perçus comme des confidences. En poète de la négritude, il valorise les éléments qui définissent l’individu noir. L’ancrage de ses poèmes est nourri par le Sénégal et le continent africain. Il choisit des mots empruntés à son pays, des codes et des références en lien avec ce dernier. Il permet à son pays de graver dans le marbre son histoire, un peu comme si ses poèmes devaient des textes fondateurs. Les colons sont aussi abordés de façon discrète dans certains poèmes et une critique se fait sentir sans condamner pour autant toute la civilisation occidentale. Le recueil se clôt sur cinq élégies qui abordent des thèmes variés comme la figure d’Aynina Fall, personnalité importante et symbolique lors de la grève des cheminots du Dakar-Niger qui a inspiré aussi Ousmane Sembène dans l’un de ses romans les plus célèbres.

L’écriture de Senghor est belle, forgée dans la terre africaine et possède un réel pouvoir évocateur. Elle est métaphorique, chargée d’images saisissantes, tout en étant musicale. A nouveau, au début de chaque poème, il indique un instrument de musique qui devrait accompagner la déclamation de ses textes. C’est dire combien la musique habite ses poèmes. Certains vers sont répétés tels des refrains. Dans ce recueil les textes sont plus compliqués à appréhender, plus hermétiques que ceux de « Chants d’ombre » ou d’« Hosties noires ». Il y a toujours quelque chose de dépaysant quand on lit Senghor. On a l’impression de voyager et de découvrir une civilisation dont on ne connaît pas grand-chose en réalité. Pourtant, certains textes ont ce caractère universel quand il aborde les sentiments. La relation homme-femme aura une résonance en chaque lecteur, quelle que soit son origine.

La nuit est le fil directeur de ce recueil. Elle est présente dans la plupart des poèmes et devient même un motif poétique pour décrire la couleur de la peau africaine, comme si le corps de la femme contenait le monde. La nuit est propice à la sensualité, aux rêves, aux mystères. Ne lui conférant pas exactement les symboles occidentaux, la nuit revêt d’autres symboles. Le poète s’émancipe de la vision poétique dominante, pour offrir sa vision nourrie par sa double culture. Certains poèmes interrogent l’acte d’écriture et la fonction politique du poète qui s’engage dans la cité.

Si un lecteur souhaitait découvrir l’oeuvre de Senghor, je lui conseillerais plutôt de commencer par « Chants d’ombre » ou « Hosties noires » avant d’attaquer celui-ci qui sera plus exigeant, mais de qualité.