Les Filles du Président
de Ahmed Tiab

critiqué par Débézed, le 21 juin 2025
(Besançon - 78 ans)


La note:  étoiles
Road movie thérapeutique d'une femme algérienne
Il y a quelques années, j’ai eu le plaisir de lire un roman d’Ahmed Tiab intitulé vingt stations dans lequel il raconte le voyage d’un gars perdu qui découvre sa ville et revit sa vie au cours des vingt stations du nouveau tramway de sa ville. Aujourd’hui, Ahmed propose un nouveau roman construit sur le même principe, une femme, la cinquantaine, veuve démoralisée, part à la recherche des filles qui, comme elle, ont été choisies pour accueillir, à leur descente d’avion, les personnalités invitées par le Président Boumédiène (orthographe utilisé par l’auteur).

Elle, Meriem, a été sélectionnée pour accueillir le Président Boumédième à Oran, son jour de gloire mais aussi le début d’un long calvaire qui n’éclatera que bien plus tard dans un choc post-traumatique fondé sur les séquelles de son expérience du vedettariat imposé par sa mère après sa sélection pour l’accueil du Président. Elle n’a pas supporté d’être exhibée comme un petit animal de foire et de n’être que la poupée qu’elle fut un jour seulement. Elle décide donc d’entreprendre, seule dans sa vieille Peugeot, un long voyage thérapeutique à la rencontre de septe autres filles ayant elles aussi été choisies pour accueillir des personnalités : Nasser, Kossyguine, Giscard d’Estaing, Tito, …

Son périple à travers toute l’Algérie d’Ouest en Est, d’Oran à Annaba, l’emmène à la rencontre de Louisa, Baya, Anissa, Fadila, …, et quelques autres encore et de divers avatars plus ou moins épiques : accident de la route, hébergement dans diverses famille, rencontres insolites, tracas avec la police ou des malfaiteurs, …, et pour finir vol de sa voiture. Tout au long de ce long road movie peu probable dans l’Algérie actuelle pour une femme seule sur la route, elle découvre son pays : la beauté des paysage et surtout la chaleur de l’accueil des femmes qu’elle recherche mais d’autres encore. Elle mesure l’étendue de la misère dans laquelle vit son pays et les dégâts causés par une corruption fortement ancrée dans le fonctionnement de la société.

Ce livre c’est la découverte de la femme algérienne dans son statut régressif depuis l’indépendance qui s’exprime à travers ce vieil adage semblant de plus en plus d’actualité : « nourris ton maître, sois belle et ferme-la » . Chacune des femmes qu’elle rencontre est l’occasion de mettre en évidence une des caractéristiques de la vie des femmes en Algérie au XXI° siècle, chacune d’elle a eu un parcours différent, rencontré des problèmes différents, vécu des bonheurs et des malheurs différents mais toutes ont lutté pour garder leur dignité même si certaines, comme Meriem, ont très mal vécu les jours après leur jour de gloire.

Après ce long périple débordant d’émotions diverses mais toutes très fortes, Meriem ressent un profond vide qui l’aspire. Pour ne pas sombrer dans ce vide abyssal, elle décide, avec ses femmes de créer leur propre mouvement : le Front de Libération des Filles du Président, F.L.F.P. pour défendre le statut et les droits de la femme en Algérie et de lutter contre la misère qui sévit dans les banlieues de nombreuses villes. Ses fils organisent aussi une exposition avec les plus belles photos qu’elle a ramenées de son périple afin de témoigner « … de la diversité et de la richesse que recelait leur pays ».
Un plaidoyer pour une Algérie forte, riche, juste, …, où les femmes auraient toute leur place : « J’aimerais pouvoir dire à quel point ce pays a encore besoin de nous, fortes, instruites et indépendantes ».