Février 33
de Uwe Wittstock

critiqué par Poet75, le 22 juin 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Les intellectuels dans la tourmente
Pour les intellectuels comme pour une grande partie de la population d’Allemagne, non seulement les Juifs mais aussi les communistes, le mois de février 1933 fut celui de tous les dangers. Il valait la peine d’en raconter, jour après jour, les péripéties, ce que réussit brillamment le journaliste et essayiste Uwe Wittstock. Son ouvrage, qu’on peut désigner à la fois comme un essai et comme un roman historique, se fonde sur de nombreuses sources (voir la bibliographie en fin de volume). Il relate les faits survenus très exactement entre le 28 janvier et le 15 mars de cette funeste année 1933. Trois dates importantes se détachent de l’ensemble : d’abord le 30 janvier, le jour où Adolf Hitler devient le chancelier de la moribonde république de Weimar ; ensuite, la nuit du 27 au 28 février, durant laquelle a lieu l’incendie du Reichstag, incendie qui sert de prétexte pour instaurer la dictature la plus féroce et procéder à des arrestations massives de communistes ; enfin, le 5 mars, date des élections fédérales que remportent le NSDAP, le Parti national-socialiste d’Hitler.
La question qui se pose aux intellectuels allemands, qu’ils soient romanciers, peintres, journalistes ou hommes de théâtre, c’est celle de la conduite à tenir. Si tous comprennent rapidement qu’une terrible menace pèse désormais sur eux, tous n’en mesurent pas aussitôt l’ampleur réelle ni surtout la durée. Certains, comme Thomas Mann, estiment que le parti d’Hitler ne se maintiendra pas longtemps au pouvoir. D’autres, au contraire, perçoivent que le changement radical qui s’opère dans le pays impose un régime dictatorial qui ne s’achèvera pas de sitôt. À la fin de chacune des journées qui composent les chapitres de l’ouvrage, Uwe Wittstock égrène la litanie sinistre des exactions et des assassinats commis, ici et là, dans le pays. Déjà triomphants, avant même l’élection du 5 mars, les SA et les SS organisent des parades militaires dans les rues ou même une marche aux flambeaux nocturne improvisée par Goebbels le soir du 30 janvier (marche qui dut être réitérée à une date ultérieure parce que son instigateur n’était pas satisfait des photos qui avaient été prises la première fois!). Bientôt, des librairies seront pillées et dévastées et des livres réduits en cendre dans de lugubres autodafés.
Dans ce contexte, si quelques intellectuels optent pour un arrangement avec le nouveau pouvoir (c’est le cas, en particulier, de Hanns Johst), la plupart (certains après beaucoup d’hésitations) optent pour l’exil, à commencer par Erich Maria Remarque dont le célèbre roman À l’Ouest rien de nouveau était honni par les nazis. Joseph Roth, lui, quitte l’Allemagne, livrée à « l’enfer », pour Paris. Thomas Mann, tout comme son frère Heinrich (l’auteur de Professeur Unrat), son fils Klaus, sa fille Erika, hésite, tergiverse longtemps avant de se résoudre à l’exil. Pour Bertold Brecht, les choses se compliquent à cause de sa fille Barbara, qui ne pourra sortir du pays que quasi miraculeusement. Il en est aussi qui sombrent dans la dépression, comme Ernst Toller qui se suicidera à New-York en 1939. Alfred Döblin, lui, après s’être installé à Paris, se réfugie en 1940 aux États-Unis où il devient, pendant un temps, scénariste à Hollywood. Rares sont ceux qui restent en Allemagne sans se compromettre avec le nouveau pouvoir : c’est le cas, peut-être unique, de Ricarda Huch, écrivaine oubliée mais dont le prestige était tel, en ce temps, qu’elle fut épargnée, bien qu’accusée d’opinions projuives.