La Clarté Notre-Dame / Le dernier livre de Madrigaux
de Philippe Jaccottet

critiqué par Septularisen, le 6 juillet 2025
( - - ans)


La note:  étoiles
«Et, toujours dans mon insomnie, ce voyageur surpris dans le frémissement de l’aube, dans sa fragilité, à la suite des oiseaux, sur l’espace grand ouvert.»
«Et donc, je ne disais aussi : parviendrais-tu à composer, pour écran à la mort, le tissu, le rideau, l’écran de mots poétiquement le plus admirable ; ou bien – après tout ce serait infiniment plus sûr, emprunterais-tu pour cet office protecteur l’un des plus beaux poèmes jamais écrits (et Dieu sait qu’en en ayant tant lu, le choix te serait facile) ; ou, cherchant une protection encore plus efficace, ferais-tu s’élever là devant toi pour bouclier le chant le plus pur que jamais musicien ait pu produire, et bien ! rien n’y ferait.»

En prolégomènes à cette recension je signale que je ne parlerai ici que de «La Clarté Notre-Dame», j’ai en effet déjà posté ma recension sur «Le dernier livre de Madrigaux» ici : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/64197

Tout au long de sa vie, le poète suisse Philippe JACCOTTET (1925 – 2021) a tenu, à côté de son œuvre poétique, des carnets dans lesquels il compilait ses observations et ses réflexions sur le monde qui l’entourait. Le poète notait les pensées qui lui venaient au cours de ses promenades dans la nature, au cours de la nuit, etc…
Ce tout petit ouvrage d’une trentaine de pages réunit donc les notes que l'auteur a rédigées entre 2012 et juin 2020.

«Mais je ne suis beaucoup trop éloigné de ma promenade sous les nuages de mars, entraîné à un détour qui n’est peut-être là que pour retarder le moment de l’effort que son récit m’impose, et qui risque en même temps de le rendre vain.»

Ce carnet se compose de deux parties, dans la première partie nous retrouvons des réflexions qui explorent les thèmes devenus, - au fur et à mesure -, plus présents dans son œuvre. Nous retrouvons ainsi les montagnes de son pays natal, les vergers, les cloches de la Clarté Notre Dame, monastère des Sœurs dominicaines de Salernes, les promenades, l’eau, le vent, les oiseaux...

«(En effet : cela, je dois le garder le garder vivant comme un oiseau dans la paume de la main, préservé pour un essor encore possible, si l’on n’est pas trop maladroit, ou trop las, ou si la défiance à l’égard des mots ne l’emporte pas.)»

Ce sont des réflexions d'une grande délicatesse, où l’auteur nous parle bonheur tout simple de la vie, avec ses doutes et ses questions, avec les lueurs d'espoir qui la traversent.

«Voilà donc que dans mon grand âge, alors que «si peu de bruits», si peu de signes du monde m’atteignent encore, cette cloche, et cette fois non pas métaphorique, à nouveau et tout inopinément m’avait parlé ; et de nouveau, pour m’orienter vers quelque cime dont je ne retrouverais pas le nom sur aucune carte…».

La seconde partie laisse plus la place à l'introspection. Philippe JACCOTTET fait ici un retour critique sur son œuvre et sur les lectures dont il s’est nourri pour composer sa poésie, l’autrichien Rainer Maria RILKE (1875 – 1926), le français Pierre Jean JOUVE (1887 – 1926), ou bien encore le poète allemand Friedrich HÖLDERLIN (1770 – 1843).

«À croire que tous les poèmes, aussi loin que l’on remontât dans le temps, n’avaient eu pour seul souci que de devenir ces dignes dont Hölderlin, justement, a écrit qu’ils «aident le ciel »

Mais pas assez pour que ce grand éclat multiplié l’emportât sur cette encre qui gagne toute la page encore ouverte pour l’infester de haut en bas. »

Il évoque aussi ici la fin inéluctable de sa vie qui se profile. Ce sont les pensées d’un homme qui sait parfaitement bien qu’il est au crépuscule de sa vie, mais qui aborde cette période en s’interrogeant sur le bonheur, la vieillesse, le sens et la fugacité de la vie, la mort, et la douleur présumée de la fin, etc… Tantôt de façon paisible, tantôt de façon plus douloureuse, mais en grand poète qu’il est, il ne se départit jamais d'une grande douceur, d’une grande délicatesse, dans les termes qu’il choisit pour l'évoquer… Ce sont des notes, comme un murmure à l’oreille du lecteur.

«(Pensées venues la nuit, en partie évaporées.)
… Il m’arrive assez souvent de souhaiter que ma vie ne se prolonge pas indéfiniment, puisque chaque mois, sinon chaque semaine qui passe aggrave le risque d’ajouter une pierre au tas déjà suffisamment haut de celles dont quelqu’un de sans visage et de sans mains viendra me lapider à mort…»

C’est un texte d’autant plus touchant rétrospectivement, puisqu’il apparaît comme le testament littéraire du poète, surtout quand on sait que le dernier texte présent dans ce recueil est daté de juin 2020 et que le poète nous a quittés en février 2021…
L'ultime image du recueil réunit les figures de l'eau vive et de l'oiseau, les deux messagers «privilégiés» de la poésie, faisant surgir dans ces derniers mots l'écriture humble et délicate de M. JACCOTTET…

«Voilà de manière très extraordinaire, réunis en si peu de mots, les deux messagers privilégiés de la poésie : les oiseaux, et l'eau vive. Et je retrouve le thème du voyageur qui part et qui revient. Comme si Hölderlin disait pour moi en ce début de poème, en quelques lignes, en quelques vers, presque tout l'essentiel.
Le temps ayant passé, redécouvrant ce début de poème que je connaissais pourtant très bien depuis si longtemps, je suis reparti sur de nouveaux frais en quelque sorte, en direction de quelque chose qui indéniablement était la Clarté Notre-Dame.»

Si vous n’avez jamais rien lu de Philippe JACCOTTET, si la poésie n’est pas votre «Tasse de Thé», je ne peux que vous conseiller de lire ce court recueil, et de vous laisser emporter - ne fût-ce qu’un court instant - par la beauté de ces vers…

Parmi la pléthore de prix récompensant l’œuvre de Philippe JACCOTTET, citons entre autres : Le Grand Prix de Poésie de la SGDL 1998 ; le Prix Goncourt de la Poésie 2003 ; le Prix Mondial Cino-del-Duca 2018.
Son nom a été proposé a de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.