La grâce et la pesanteur: Le célibat obligatoire des prêtres en question
de Marie-Jo Thiel

critiqué par Poet75, le 16 juillet 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Plaidoyer pour un célibat optionnel des prêtres
Inversant les termes du titre d’un ouvrage de Simone Weil (La Pesanteur et la Grâce, 1947), Marie-Jo Thiel, médecin de formation et théologienne, professeure émérite de l’université de Strasbourg, entreprend, dans ce livre, d’examiner, sous tous ses angles et sous toutes ses facettes, la règle du célibat imposé aux prêtres de l’Eglise catholique. Le sujet est-il sensible ? Est-il tabou ? Peu importe, Marie-Jo Thiel en étudie l’histoire, les causes, les justifications, les effets pour mieux mettre en question cette discipline imposée à l’ensemble des prêtres, à l’exception toutefois, rappelons-le, des prêtres de certaines Eglises de rite oriental ou encore de prêtres anglicans mariés et ayant souhaité devenir catholiques.
Bien sûr, l’autrice ne prétend à aucune exhaustivité, mais son approche reste constamment étayée, documentée et elle est toujours argumentée de façon judicieuse. Le propos du livre est fort bien résumé à la page 140 : « Au cours de son histoire, le christianisme romain a progressivement rompu avec le mariage des prêtres et l’ordination d’hommes mariés pour des questions de pureté, d’idéalisation de la virginité, de marginalisation des femmes, de primat pour certaines lectures bibliques, etc., selon des herméneutiques portées aussi par l’air du temps, les cultures, les philosophies… ».
Précisément, après avoir proposé une étude historique de la règle du célibat, règle qui a été rendue obligatoire au deuxième concile du Latran (1139), Marie-Jo Thiel s’interroge, à bon droit, sur son bien-fondé en ce début du XXIe siècle. Les justifications théologiques et scripturaires qu’on ressasse quand il est question de ce sujet semblent en vérité plus que caduques. Les papes successifs (y compris François) ont eu beau s’obstiner à conserver coûte que coûte ce soi-disant trésor, la vérité, c’est que, du côté des prêtres, le malaise et les interrogations sont patents, et du côté des fidèles, la perspective de l’ordination d’hommes mariés ne suscite quasiment plus de rejet.
Il ne faut pas se leurrer, bien sûr. L’ordination d’hommes mariés et/ou la possibilité pour les prêtres de se marier ne suffiraient pas à résoudre la crise que traverse l’Eglise, tant du côté de la raréfaction des candidats à la prêtrise que du côté des abus (sexuels et autres). Mais, comme l’explique parfaitement Marie-Jo Thiel, une telle réforme contribuerait à combattre, sinon à vaincre, la tentation du cléricalisme, toujours si prégnante dans l’Eglise. S’il y avait des prêtres mariés, en effet, probablement serait-on enclin à en finir avec cette conception du prêtre différent des autres hommes, mis à part, comme s’il faisait partie d’une caste, celle des purs par exemple. Encore faudrait-il changer aussi son regard sur la sexualité, y compris lorsqu’elle s’exerce au sein du mariage, c’est-à-dire admettre que l’acte sexuel ne rend pas impur et qu’un prêtre marié ne serait pas davantage impur qu’un autre qui serait célibataire. À cela s’ajoute aussi la question de la place des femmes dans l’Eglise, question non résolue tant qu’on n’admettra pas une parfaite égalité, y compris précisément pour ce qui concerne l’ordination sacerdotale. Bien d’autres aspects surgissent aussi au fil des pages de l’essai, par exemple la prise en compte de l’homosexualité d’un grand nombre de membres du clergé.
Marie-Jo Thiel ne cherche pas à tout révolutionner d’un seul coup, mais elle pose de bonnes questions et plaide, à juste titre, pour un célibat optionnel et non plus obligatoire. Le temps est venu, pense-t-elle avec raison, de proposer de nouveaux chemins pour faire Eglise aujourd’hui, pour sortir du cléricalisme, pour en finir avec tout instinct de pouvoir, en acceptant la diversité des charismes de toutes et de tous, femmes et hommes, unis dans la sequela Christi.