Labyrinthes
de Christopher Okigbo

critiqué par Pucksimberg, le 18 juillet 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un poète unique et envoûtant
L’on se souvient sans doute de la guerre qui opposa le Nigéria au Biafra. Christopher Okigbo a combattu du côté des Biafrais et est mort au combat. Il n’a eu le temps d’écrire qu’un seul recueil de poèmes. Cette œuvre est précieuse, assez hermétique, mais est constituée de textes forts et permettant parfois de multiples interprétations. Heureusement que l’édition NRF possède une courte préface du poète même qui présente les sections de son recueil et propose ainsi des pistes de lecture qui pourront aiguiller le lecteur.

Dans « Porte du ciel », l’on découvre un personnage, sans doute le poète, qui suit un rituel durant lequel il doit se purifier en gagnant la rivière pour communiquer avec l’Esprit qui l’anime. Dans « Limites », on assiste à la désagrégation d’un moi avec un personnage en quête de l’éléphant blanc. « Distances » semble permettre aux divers « moi » de se réconcilier comme si le poète se libérait de ses tensions. Ces poèmes ont été écrits suite à la première anesthésie générale qu’il a subie et sans doute cet état d’apesanteur résulte de son expérience médicale. Il écrit les « Silences » suite à l’arrestation et l’assassinat de Lumumba, l’arrestation d’Awolowo et la mort de son fils. Cette section est traversée par des scènes cauchemardesques et picturales comme ce bateau ballotté par la tempête, l’évocation de Palinure, le pilote du navire d’Enée, les tambours longs qui sont les esprits des morts … Il y a quelque chose de magique dans ses évocations. L’on se laisse volontiers voguer au gré des images et du rythme du poète.

Les poèmes sont nourris de références littéraires ou mythiques. Chaque section est divisée en plusieurs poèmes énigmatiques reposant sur une écriture forte, ciselée et imagée. Leur lecture nécessite une lecture lente et une grande concentration, mais ils sont beaux et marquants. Il est triste de réaliser que ce poète a eu une vie courte et que l’on aurait sans doute adoré qu’il ait le temps de poursuivre son œuvre. Il est déjà aux yeux de beaucoup une référence et une voix poétique émancipée et novatrice. Ses poèmes ne ressemblent pas vraiment aux textes d’autres poètes africains célèbres. Il se démarque.

Tonnerre peut Éclater

Fanfare à tambours, cloches de bois : chapitre de fer ;
Et nos airs tranchants retournent à la source.

Ce jour relève d’un miracle de tonnerre ;
Le fer apporta un forum
Avec gestes symboliques. Tonnerre a clamé,
Sans laisser signatures : brisées

Barbacanes seules content une histoire que vents dispersent.

Mont ou tour à l’horizon, vois, tes otages –
Le fer, hélas, a créé des chefs d’œuvre –
Statuettes de héros légendaires – oiseaux de fer
Tenus – fruit du vol – serrés ;

Car barricadé dans ferronnerie un miracle encagé.

Libère-les, nous disons, libère-les
Les visages et les mains et les pieds,
Ces témoignages derrière le mythe, le récit
Que le rituel incarne.

Tonnerre peut éclater – Terre, attache-moi vite –
Obstination, la maladie des éléphants.