Hölderlin : Oeuvres de Friedrich Hölderlin
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Chemin vers la folie
Le livre s’ouvre sur un bref avant-propos :
Rien de trop, rien de peu, quelques mots en en-tête.
Merci à Jaccottet de dire ce qu’il faut,
Qui laisse à Hölderlin le rôle de vedette.
Point ici de long flot qui masquerait l’auteur.
Rien n’est plus agaçant qu’un universitaire
Qui parle tant et tant, certain de sa hauteur,
Et qui vole pour lui la glorieuse lumière.
Jaccottet est poète, et il a des égards
Pour cet ancien confrère dont il sert la gloire.
Et pour mieux la servir commençons sans retard ;
Onze pages tournées et l’on peut déjà boire
À courts traits les poèmes d’un jeune étudiant.
Des fragments et des choix, de nombreuses coupures,
Cinquante recalés de ces balbutiements,
Néanmoins des promesses de grande aventure ;
Car je me suis senti, les lisant maintes fois,
Savourant chaque mot, une communion d’âme.
Ce goût d’érémitisme me rappelait moi,
Et je voyais en nous une semblable flamme.
Ensuite s’est ouvert un plus intime champ,
Qui m’a fort peu réjoui tant il est prosaïque.
Soixante-huit chardons, sans odeur, sans allant,
Lettres du quotidien sans rythme et sans musique.
Je me sens un voyeur à lire ces courriers
Qui montrent Hölderlin quémander à sa mère
Des aides sur son mois tant il est dépensier.
Il m’a semblé un rat, hypocrite et faussaire.
J’ai ouvert Hölderlin, poète en son état :
Cinquante fleurs coupées, mais sa correspondance
Est pleinement rendue. Tristesse de ce choix …
Je m’interroge alors sur cette préférence …
D’autant que Hölderlin n’est pas l’épistolier
Le plus talentueux de mot ou de structure.
J’ai tout lu par principe mais sans m’extasier :
C’était plat, ennuyeux et de mauvaise allure.
Puis s’offre sous mes yeux quelques désolations
Cernées de-ci de-là de riantes collines.
Ce paysage-là n’est autre qu’Hypérion,
Roman épistolaire d’inégale mine.
Mais pourquoi, direz-vous, l’ai-je trouvé vilain ?
Tout d’abord ce n’est pas un vrai roman par lettres :
Presque toutes ne sont que d’une seule main
Et s’enchaînent si bien que trois ne devraient être
Qu’une seule et unique, artificiellement
Découpée en tronçons, en multiples parties.
J’en tire l’impression de lire des fragments,
Des îles entamées et jamais abouties.
Et la fin elle-même n’en est pas vraiment :
« J’en dirai plus une autre fois » est la dernière
Phrase qu’il ait écrite à la fin du roman.
Elle annonce une suite qui dort sous la terre …
J’ai eu le sentiment de lire un long brouillon,
Un projet entamé, un roman-prototype,
Où tout mijoterait en étrange bouillon
Et qui peut régaler comme offusquer la lippe ;
Parce qu’un ciel, jamais, n’est entièrement noir.
J’ai follement aimé ces flamboiements lyriques,
Ces aurores perlées qui vendent de l’espoir,
Autant que j’ai ronflé aux plis philosophiques.
Toutefois je précise, audace en ce temps-là,
Qu’Hypérion touche autant à l’homme qu’à la femme,
Qu’il aime Alabanda, qu’il aime Diotima
Avec un cœur sincère et d’une même flamme.
Et sitôt que le souffle des Grecs s’est tari,
Un autre vent surgit, celui de l’Allemagne :
Cinq essais incomplets, cinq pains lourds et rassis
Qui m’ont fait regretter ces visions de campagne.
Et alors, de nouveau, l’ennui devient un toit
Contre lequel je bute, et je sens qu’il m’écrase.
Mes lectures s’espacent, cinq pages à la fois,
Et le feu des curieux nettement moins m’embrase :
Je pensais que déjà j’avais assez payé,
Qu’on pouvait m’épargner, me mettre plus à l’aise,
Que soixante-huit lettres, c’était bien assez !
Cette compilation en a quatre-vingt-seize !
Douze jours à trimer pour franchir ce marais !
Alors l’étrangeté ne quitte pas la piste :
Ce sentier est pavé de sept poèmes faits
Avec une syntaxe de contorsionniste.
S’il est vrai que certains restent assez jolis,
Je n’ai pas ressenti une émotion vive
Pour le moindre d’entre eux : parfois l’appel du lit,
Parfois un fin plaisir, parfois l’esprit dérive.
Alors l’ombre se lève et le ciel s’éclaircit ,
On sent poindre l’espoir, lumineuse bougie,
Quand on touche du pied le seuil d’un long récit
Et qui a l’ambition d’être une tragédie ;
Mais ce ciel prometteur était en fait coupé,
La splendeur de la cire était un peu falote,
Le seuil sous son air propre est lavé à moitié,
La tragédie bégaye et s’arrête à la botte.
Ce sont trois tentatives de conter la mort
De son héros tragique, le grand Empédocle ;
Mais le souffle lui manque ou le goût de l’effort,
Et le récit s’écroule dès après le socle.
Cet homme a-t-il jamais fini ce qu’il faisait ?
Cela devient frustrant d’enchaîner des entames !
Six cents pages déjà et rien n’est achevé :
On conduit des bateaux qui n’ont voile ni rames !
J’ai assez peu aimé la première version.
La troisième tout comme exhibe une écriture
Lourde, ou la faute est-elle à cette traduction ?
Le vers allemand est trop loin de nos parlures ?
Je ne sais. En tout cas, la deuxième version,
Avec son mètre court et sa plume vivante,
Aura bien plus capté toute mon attention
Jusqu’à la déception de voir la fin manquante.
Et alors un retour, qui n’avait point manqué,
Qui se lit à grand peine et souvent se soupire,
C’est celui des essais qui sont inachevés,
Qui meurent sous la plume qui doit les écrire.
Je suis mauvaise langue : deux sont achevés,
Et j’ai bien regretté cet écart d’habitude,
Car j’ai beaucoup souffert pour lire la moitié,
Quand l’autre m’a semblé au moins deux fois plus rude.
Qu’est-ce que c’est, bon sang, que ce galimatias ?
C’est confus, compliqué et verbeux au possible,
Tout y est « harmonique », « aorgique » et m’abat.
Je l’ai lu pas à pas en bâillements terribles.
L’entame de ce texte est déjà un soufflet :
Trois pages, une phrase aux relents méphitiques,
Sécheresse du style, du Kant pastiché,
Et l’on ne comprend pas son « esprit poétique ».
Pourtant il a bien su, dans un texte plus loin,
Résumer cet essai en à peu près deux pages.
Et là tout était clair, expliqué avec soin,
Sans circonvolutions, dans un simple langage.
Après l’interminable et douloureux mouroir,
On implore, on supplie : des poèmes peut-être ?
Que nenni ! Toujours pas ! Réessayez plus tard,
Pour l’heure découvrez ces quarante-deux lettres !
Plus longues, plus bavardes, plus riches encor,
Mais elles sont surtout bien plus intéressantes.
Hölderlin s’interroge sur son triste sort :
Une vie poétique ? Une vie enseignante ?
Et là je me retrouve à nouveau dans ses mots.
L’intérêt ressurgit, sans être trop intense.
C’est toujours mieux qu’avant, bien que les lourds défauts
Prennent en mon esprit beaucoup plus d’importance.
J’y vois un Hölderlin tout doucement rêveur
Après cinq cents florins tirés de sa revue,
Projeté aux prairies riantes du bonheur,
Revue qui restera un songe dans la nue.
A ce moment, enfin, arrive un sol béni,
Un sol tant attendu, une terre promise,
Un songe inespéré qui bondit de son lit
Et dont l’état brumeux alors se concrétise,
Car j’ai touché du pied ce que j’ai espéré
Pendant que je marchais de nombreux kilomètres,
Tout comme un pèlerin qui peut enfin entrer
Dans le lieu saint où il va élever son être ;
Si la route fut longue et si j’en ai souffert,
C’est avec émotion, bonheur, joie et envie
Que je pénétrerai dans ce royaume offert
Où chaque mot toujours vibre de poésie.
Et j’y ai bien aimé, comme un transport ancien,
Ce souffle d’autrefois, la vive verve épique,
Qui donne au moindre geste, au moindre mot, au rien
Une grandeur divine, un relief olympique.
J’ai voyagé ainsi dans l’espace et le temps,
J’ai revu les héros glorieux des anciens mythes,
J’ai revu les dieux grecs écrasant les titans,
Tout un monde habité de magie et de rites.
Mais j’ai revu aussi ce qui m’avait moins plu :
La syntaxe tordue hachée par des virgules
Où chaque complément est un barrage au ru
Dont le cours est le sens qui sous mes yeux recule ;
Des textes ventilés et parsemés de trous,
Des persiennes laissant échapper la lumière,
Œuvres inachevées ou dont on n’a pas tout,
Des textes comme un golf ou une taupinière.
On y trouve souvent la figure de Dieu
Que Hölderlin oppose avec celle des Hommes,
Car pour lui le poète reste un religieux
Qui relie l’Un à l’autre, un trait d’union en somme.
Après avoir atteint ce coin des pèlerins,
J’en ressors mitigé, d’un avis en partage.
J’ai lu de beaux poèmes dans un bel écrin,
Mais plus ne valaient pas un pénible voyage.
Et alors que je pars, un peu désemparé,
Un immense pourquoi s’impose sur la route :
Des fragments et des plans, mots vite griffonnés,
Occupent quinze pages qui jettent le doute :
Pourquoi donc publier ces margelles sans fond ?
Bien souvent quelques vers et parfois juste un titre,
Si le cinquante-trois est exquisement bon,
L’essentiel ne vaut pas qu’on l’expose à la vitre.
Pourquoi un même livre expose ces fragments
Tout en se délestant de cent trente poèmes,
Qui n’étaient pas peut-être éclatants et brillants,
Mais qui étaient finis ! Mais quel est leur problème ?
Puis un petit poème, isolé, oublié,
Au nom évocateur, léger et formidable,
Où l’Homme va toucher à la divinité
Dans le ciel vaste et pur : c’est « En bleu adorable ».
En regardant plus loin, le chemin se poursuit.
Son terme semble proche et je garde courage,
Je brave les taillis qui me cachent son lit :
Ce sont de lourds essais prenant vingt et sept pages.
Mais une idée me vient au moment où je lis
Les élucubrations des essais sur Pindare :
C’est que cette syntaxe par plis et replis
Se rapproche pas mal de cet antique phare.
Puis la voie continue, et derrière un buisson,
Quand on pensait toucher à la fin du voyage,
Trente-huit autres lettres comme un hérisson
Dressent leurs pics aigus et nous font un barrage ;
Mais fort heureusement le livre prend pitié,
Et pour rendre la lutte un peu moins douloureuse,
Afin de soulager ou vos yeux ou vos pieds,
Il vous prend sur son dos, résume les plus creuses.
On y retrouve encore un Hölderlin rêveur,
Mais son culte du rêve devient un problème :
Quel que soit le travail qu’il trouve il part ailleurs,
Toujours insatisfait, recherchant ce qu’il aime.
Il singe le bourgeois mais n’en a pas le cœur.
Il embaume à plein nez le musc de Terpsichore,
Mais le monde réel l’exige travailleur :
Il se fixe, obéit, déchante et part encore.
Alors, inespéré, on prend de la hauteur,
On gravit le versant d’une belle colline
Qui dévoile à nos yeux ses vallons, ses couleurs
Que le chant des oiseaux égaie de notes fines.
En regardant au nord, j’admire le printemps,
A l’est brille l’été, au sud tremble l’automne,
A l’ouest tombe l’hiver ; et tous en même temps
Enchantent tous les sens, entre eux quatre résonnent.
Ces poèmes sont beaux, lyrique pureté.
Ceux de Scardanelli plus que les autres brillent !
Pourquoi ne pas avoir montré l’entièreté
De ces écrits dont nous n’avons que quelques billes ?
Plus regrettable encore, il m’a fallu chercher
Par mes propres moyens le mystère des dates
Étirées sur trois siècles, dont n’ont pas parlé
Les notes à la fin, mais dont l’étrange éclate.
Hölderlin avait fait à l’asile un séjour.
Le médecin l’ayant estimé incurable,
Il s’était retiré au sommet d’une tour,
Signait « Scardanelli » et datait improbable.
Du haut de la colline on aperçoit au loin
Comme un miroitement ou comme une promesse
De grâce et de repos, c’est la fin du chemin
Dont l’appel aguicheur nous bouscule et nous presse.
Après un long périple, après le Golgotha,
Après mille souffrances qui dira la joie
D’atteindre l’horizon qui ne s’étire pas,
Brillant d’une rosée qui sous nos pas poudroie ?
Serait-il audacieux d’espérer un sentier
Plein de fleurs et d’odeurs les plus douces du monde ?
Mais c’est une tourbière où s’enfonce le pied
Dans l’opaque carreau que semble être cette onde.
Des lettres à nouveau, ou plutôt des billets,
Des petits mots faits pour sa « vénérable mère »
Où il lui dit bonjour et puis bonne santé,
Et ça quarante fois ! A lire un vrai calvaire !
J’ai même interrogé son authenticité,
Je me suis demandé s’il était ironique,
Car chaque billet tient tant d’obséquiosités
Qu’on peut se demander si ce ne sont des piques.
J’ai feuilleté les notes sur ce moment-là.
On nous dit simplement qu’on y voit sa folie,
Qu’il écrit à sa mère et ne désire pas
Qu’elle vienne le voir et donc s’en distancie.
Et alors qu’on pensait être arrivé au bout,
Une petite sente plutôt ombragée
Se dessine tout près et s’enfonce dessous
Les taillis du sous-bois aux feuilles emperlées.
La curiosité prend, je me risque à un pas.
En regardant plus près chaque perle de pluie
Est un œil extérieur, un avis, une voix
De ceux qui ont connu Hölderlin dans sa vie.
Et les lettres surtout de Suzette Gontard
Sont vraiment magnifiques et si émotives !
Hölderlin face à elle n’est qu’un scribouillard
Dont la plume en épître est faible et maladive.
Et voilà, c’est fini, c’est le bout du chemin.
Beaucoup de lassitude en deux mois de voyage
Et des petits moments de plaisir dans les mains.
Improbable qu’encor dans cela je m’engage.
J’en sors un peu déçu, disons presque trompé.
Je voulais le poète et on m’a donné l’homme :
C’est un parcours de vie qu’on vient nous exposer
Dont les écrits choisis constitueraient la somme.
Il est un autre tort qu’on ne pardonne pas :
De nombreuses coquilles y font leur parade.
On l’excuse déjà peu dans de nombreux cas,
Mais c’est inadmissible à voir dans la pléiade.
Les éditions
-
Hölderlin : Oeuvres
de Hölderlin, Friedrich Jaccottet, Philippe (Autre)
Gallimard
ISBN : 9782070102600 ; 65,00 € ; 22/03/1967 ; 1296 p. ; Relié
Les livres liés
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