Le vent: Suivi de : Cette nuit-là de Jean-Pierre Abraham
Catégorie(s) : Littérature => Francophone

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L'art de l'errance à la rencontre des choses
"Le vent" est le court récit de journées d’errance dans un paysage maritime. Le texte, assez court et découpé en nombreux petits chapitres, est suivi d’une « Cette nuit-là », qui dévoile en quelques pages la genèse de son écriture. Il s’agit en fait d’un texte de jeunesse, que Jean-Pierre Abraham écrivit quand il avait 19 ans (à une époque où il ne songeait pas encore à devenir gardien de phare). Alors qu’il était étudiant à Paris, il arriva trop tard à Montparnasse et rata le train du départ en vacances : il prit un autre train, un peu hasard, le premier qui partait vers l’ouest et s’arrêtait au Mans. De là, il prit un autre train, une vieille micheline, qui faisait halte à toutes les gares. Pendant son voyage, il commença à lire « La chronique fabuleuse » d’André Dhôtel qui venait de paraître, et le monde en fut transfiguré. Abraham se sentit bouleversé par le surgissement d’un autre monde qui, émanant du monde réel, venait s’y superposer et le rendait soudain merveilleux. Cette sublimation était contagieuse car Abraham ressentit que les paysages de campagne, où circulait son train, devenaient à leur tour fabuleux comme si tout lieu et toute personne étaient porteuses de beauté et de mystère… Peu de temps après, J-P Abraham écrivit, en une nuit d’exaltation à la fin des vacances, le texte du « Vent », qui lui fut inspiré par sa lecture de Dhôtel, écrivain qui l’ébranla comme d’autres écrivains et poètes de son âge furent ébranlés par Rimbaud.
Je n’ai pas lu Dhôtel et ne peux donc juger cette filiation sentimentale. En revanche, le texte du « Vent » m’a fait songer à Rimbaud et ses marches dans la campagne ardennaise, et à Julien Gracq, notamment à la presqu’île. De quoi s’agit-il ? De marches errantes, presque sans but, aimantées par l’appel d’un bosquet d’arbres, d’un éclat sur la mer, d’un relief du terrain ou d’une ruine singulière. Le narrateur semble un jeune homme solitaire, peut-être adolescent. Il lui arrive de faire des rencontres, d’échanger quelques mots mais c’est le silence qui domine, et la contemplation d’un paysage toujours changeant, qui semble à chaque instant se renouveler, comme en cet extrait que j’ai recopié au hasard (incipit du chapitre XVI mais chacun de la trentaine des chapitres épouse ce style).
Puis je remontai jusqu’au fond de la rivière, à l’endroit où elle disparaissait sous les arbres. Elle se resserrait brusquement, formant une anse large que je découvris en sortant des broussailles. Le ciel était très pâle, et la lumière tourmentée par le vent. Sans aucun doute une grande clarté baignait la grève, mais rien ne brillait. Une vaste plaine de vase grise et verte s’étendait devant la rivière, et sur l’autre rive était dressée la masse des arbres sombres, très proches. Au-delà, le ciel était net, et les lointains se dessinaient avec une extrême précision. Dans l’enfilade des pins, j’aperçus le groupe de maisons autour du pylône, la baraque sur la terrasse, les fils électriques qui enjambaient la rivière et rejoignaient un autre pylône, derrière les arbres. L’arrière de l’île apparaissait au-dessus de l‘eau. C’était une pointe entourée d’un haut mur. Et sur les collines d’en face, non loin du bosquet, je découvris un bois de pins clairsemés qui cachaient à peine le ciel.
L’écriture de Jean-Pierre Abraham est très descriptive, presque picturale, décrivant le tableau du ciel, de la mer et des arbres comme rendus vivants par les variations de la lumière et par le vent. L’écriture est très minutieuse, attachée aux détails visuels et sensoriels, comme un peintre figuratif attentif à rendre toutes les nuances de couleurs et textures, mais elle n’est pas réaliste au sens strict (et cette irréalité culmine vers la fin du récit, où le narrateur s’endormant sur la plage se retrouve – sans s’en émouvoir - auprès d’une armée médiévale bivouaquant avant la bataille). Tout le paysage semble se dévoiler et se révéler aux regards du narrateur, qui est curieux du moindre chemin. On est d’ailleurs parfois surpris qu’il soit surpris de découvrir tel ou tel élément d’un paysage qui devrait lui être familier. Mais qui est ce narrateur ? Il remonte l’estuaire du fleuve avec une plate, qu’on lui a prêtée, ou marche dans des chemins escarpés et envahis de ronces, saute par-dessus les murs, dort sous un hangar ou sur des bateaux à l’ancre : est-il vagabond ? un vacancier de passage dans le pays ? Peu importe, et cela ne sera pas dit. Toujours est-il qu’il semble insensible à la fatigue ou à la faim et que nul ne semble s’inquiéter de ses errances ou s’étonner de sa présence. Il est là, simplement présent, aussi naturellement qu’un arbre ou un nuage, et marche pour aller à la rencontre de l’ailleurs enfoui dans l’immédiateté présente :
J’ai choisi mon heure pour ne rencontrer personne. Car si l’on me questionnait, que pourrais-je répondre ? Je vais simplement me promener dans la campagne et tout peut arriver. Au milieu de ces bois et de ces plaines désertes se cachent peut-être des paysages lumineux, et les horizons que l’on imagine depuis toujours. Il est agréable de marcher avec ce simple espoir.
Les éditions
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Le vent: Suivi de : Cette nuit-là
de Abraham, Jean-Pierre
Payot & Rivages
ISBN : 9782228939065 ; 7,00 € ; 07/05/2025 ; 96 p. ; Poche
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