Un rescapé de la Shoah

On rappelait la semaine dernière le soixantième anniversaire de la fermeture du camp d'Auschwitz. C’était en 1945 la fin d’un cauchemar pour les Juifs en particulier et pour l’Occident en général. Peut-on oublier les horreurs de la guerre? Elles suivent les victimes pour le reste de leurs jours. On ne sort pas indemne de l’enfer. Alain Gagnon s’applique à le démontrer avec son dernier roman, qui lui fut inspiré par un fait divers, lu dans le journal par un bon samedi matin.

Jakob, fils de Jakob raconte donc l’histoire d’un juif de douze ans rescapé d’un camp de la mort, où, par contre, tous les siens ont péri. Heureusement adopté par des Allemands pour tenir compagnie à Helmut, le fils de la famille von Stauffenburg, il échappe ainsi au sort qui l’attendait. Il est heureux avec ses parents adoptifs qui le traitent comme leur propre enfant, et davantage avec ses deux nouvelles sœurs attentives à son éveil sexuel, voire à le provoquer. Malheureusement, le bombardement de Dresde par les Alliés disperse la famille alors que Jakob Eliyakim s’embarque sur un bateau en partance pour le Canada, où habite le frère de sa mère.

On pourrait croire que c’est un jeune sans conscience qui s’amène à Montréal. Les apparences sont trompeuses. La folie attend toujours ceux qui vivent un écart trop grand entre leur idéal et la réalité. Pour garder son équilibre, il s’est adapté à une situation qui semblait trahir les siens, d’autant plus qu’il avait fabriqué avant son adoption des pantoufles pour les sous-mariniers avec, entre autres, les cheveux des membres de sa famille exterminés dans les chambres à gaz. Malgré son apparente solidité, il est des plus vulnérable. Les stigmates de la Shoah ne paraissent pas encore, mais ça ne tarde une fois qu’il est vraiment établi à Montréal et marié à une femme qu’il n’aime pas.

Le bonheur est un port inaccessible quand le vent du malheur drosse la vie dans des méandres dangereux. Ce n’est pas simple d’assumer un passé et d’envisager un avenir sur un bateau qui prend l’eau. Or, Jakob renoue avec Helmut qu’il rencontre par hasard à Montréal et qui lui apprend que sa sœur Tandja, violée par les Alliés américains, est toujours vivante. Il l’emmène au Canada et refait sa vie avec cette femme qui le rend heureux. Mais quand l’horreur de la mort a marqué l’amont, l’aval s’en ressent. En fait, Jakob entre dans une dynamique qui ne peut conduire qu’à un camp d’extermination. Il en conclut que seule la mort peut le réconcilier avec le passé. De victime, il se fera le bourreau de ceux qui ne peuvent s’alimenter de leurs souvenirs. Quand la maladie d’Alzheimer frappe Tandja, il n’en peut plus de se retrouver seul. Pourquoi ne pas être heureux dans un autre monde ? C'est la question que Primo Levi, un juif italien qui a vécu la même expérience que Jakob, s'était posée en écrivant Si c'est un homme avant de se suicider. Ces deux œuvres lancent une invitation pressante à réfléchir sur l’euthanasie et le suicide pour colmater les trous creusés par la bêtise humaine qu’heureusement, on n’attribue pas uniquement à certains groupes ethniques.

Le roman d’Alain Gagnon traite de survivance après avoir vécu une expérience de mort. Il illustre éloquemment que l’horreur vécue au quotidien engendre la mort de l’âme suivie, en écho, par la mort du corps. Son propos est soutenu par une langue d’une fluidité incomparable. Bien charpenté aussi, chaque événement qui vient l’étayer forme un chapitre construit comme une nouvelle au dénouement saisissant. L’auteur a le sens du punch. Comme l’œuvre est déguisée en bref récit, le lecteur peut rester sur sa faim. Ça défile tellement vite que l’on croirait lire parfois le résumé d’un livre volumineux. Mais le plaisir de lire Jakob, fils de Jakob demeure entier.

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  Jakob, fils de Jakob [Texte imprimé], roman Alain Gagnon

  de Gagnon, Alain
  Triptyque
  ISBN : 9782890315136 ; EUR 20,20 ; 01/09/2005 ; 166 p. ; Reliure inconnue

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