Mémoires de Hongrie
de Sándor Márai

critiqué par THYSBE, le 27 janvier 2005
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Marai dans sa maturité
Nous revoilà avec une autobiographie de Sandor Marai, mais cette fois-ci dans une période plus mature de sa vie pour décrire les moments difficiles de l'occupation du communisme dans son pays, avant son exil.
Cette période douloureuse de l’histoire décrite dans son journal, il la publiera 20 ans plus tard. Il s’attachera à ausculter le fonctionnement du communisme à travers ces rencontres qu’il fera avec les Russes. Dans une démarche interrogative, il fera parler le soldat bolchevique. Peu à peu, ces militaires prendront possession de tout ce qui se présentent à eux, pillant, violant, humiliant le peuple magyare. Sandor Marai évoque l’extinction de sa culture, sa terre, son histoire.
Quel doit être le rôle d’un écrivain ? Faut-il rester pour combattre, dénoncer, ou partir pour témoigner ? Quel sentiment le plus intolérable que celui d’être obligé de se taire. Comment résister à ce système rusé d’inhibition de l’esprit, mise en place par le pouvoir. Ce joug, qui ne donne comme alternative que la suppression de la liberté physique et intellectuelle. Tels sont la torture et l’obsession journalière de l’écrivain. Puis, comme une révélation soudaine, il étaye d’une façon bouleversante les motifs de son devoir d’exil : « ce fut le moment où je compris qu’il me fallait quitter ce pays, non seulement parce qu’on ne me permettait pas d’y écrire librement, mais surtout parce que je n’avais plus le droit de me taire librement ».
Je n’ai pas retrouvé complètement cette façon d’écrire qui m’a tant plu dans les braises, les confessions d’un bourgeois ou alors l’héritage d’Esther. Peut-être que le sujet plus politique, et son support (tiré de son journal intime) en est la cause. Le vocabulaire est toujours aussi fort, idoine et percutant, mais la construction du récit plus aléatoire dans son ensemble, surtout en début de l’ouvrage.
Ces mémoires éditées en fin 2004, coïncident avec l’entrée en Europe de la Hongrie. Evènement que Sandor Marai aurait tant apprécié, lui qui était attiré par l’ouest et il souhaitait tant une construction européenne. Il aurait aussi aimé connaître la fin du mur de Berlin, malheureusement il s’est suicidé quelque temps avant.
Un témoignage précieux et émouvant 9 étoiles

Ces mémoires, écrites en exil 25 ans après les faits, sans doute à partir de son journal d'écrivain, constituent une source abondante de témoignages. Le récit commence avec l'entrée des nazis à Budapest en mars 1944, puis le siège de la capitale hongroise un an plus tard par l'Armée Rouge à la veille de la capitulation allemande. Sandor Marai y assiste depuis un village proche de Budapest, en compagnie de soldats soviétiques qui suscitent son étonnement.

Et c'est le récit des premiers temps de l'occupation soviétique, de l'arrivée de communistes envoyés par Moscou pour coloniser le pays, comme les autres pays de l'Est conformément aux accords de Yalta. La vie se réorganise, mais l'emprise des communistes rend vite impossible l'activité d'un "écrivain bourgeois". Il observe beaucoup et nous fait profiter de ses réflexions, particulièrement précieuses, si l'on songe à ce que l'on connaissait en France de la Hongrie à cette époque...

Qu'est-ce qu'un écrivain ? Qu'est-ce que la Hongrie et sa langue à nulle autre semblable et parlée par seulement une dizaine de millions d'habitants ? Qu'attendre de l'Europe alors que la Hongrie a été par deux fois "dépecée" par les traités de paix qui lui ont été imposés à la fin des deux conflits mondiaux ! les réponses sont proposées par Sandor Marai nous donnent à réfléchir et sont parfois d'une brûlante actualité.

Né en 1900, l'auteur s'est donné la mort en 1989 après 40 années d'exil. Il n'aura pas connu la fin du communisme en Europe de l'Est.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 10 octobre 2010