L'enfant neuf de Colette Nys-Mazure
Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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"Chaque jour je commence..."
« Lorsqu’ils sont écrits, les mots lissent, polissent, policent ce qui était brut, insupportable, inhumain. L’écriture tente de rendre lisible ce qui était indéchiffrable. […] On écrirait pour maîtriser le chaos, retrouver visage humain alors que le malheur sans visage a défiguré le jour ? »
Le dernier livre de Colette Nys-Mazure répond à cette volonté de « catharsis » et de clarté : dans une première partie intitulée « L’épreuve », elle raconte le double drame vécu par l’enfant qu’elle fut, puis, dans la seconde partie (« Dans sa main ») montre comment la mort a façonné la vie, comment « l’enfant neuf » s’est construit sur les ruines d’une famille.
« Matin d’octobre pareil à tant d’autres matins. Qui devinerait que c’est le dernier ? »
Les enfants à l’école, Colette, sept ans, son petit frère, quatre. La petite sœur de deux ans est restée avec maman à la maison. Le papa vétérinaire fait sa tournée dans les fermes. Tout est en ordre. A midi, une voisine ramène les grands de l’école. La bonne annonce : « Monsieur est mort ».
« Là-haut la chambre est sombre : les tentures ont été tirées, des cierges brûlent au pied du lit, sur lequel est allongé un homme vêtu de son "beau costume" de cérémonie. Il a l’air de dormir et ses mains jointes, très blanches, tiennent un chapelet. L’incrédulité : c’est Papa, lui ? De l’homme vif, odorant et chaud, il ne reste que cette momie. […] C’est froid et sans odeur. C’est Papa et ce n’est pas mon papa. La terre s’ouvre. Un vent noir s’engouffre dans la pièce. »
Incrédulité de l’enfant confronté à l’incompréhensible, à ce que Camus appellerait l’Absurde, à ce qui n’a pas de nom : « Je me cogne la tête contre l’étrange, l’étranger. »
Souffrance de l’enfant qui n’est pas au bout de ses peines, car la maman est frappée par cette mort comme un jeune arbre blessé par la chute d’un chêne. Maman pleure. Maman ne mange plus, elle grignote. Maman tombe malade : jaunisse, prononce-t-on. Moins de trois mois plus tard, maman meurt à son tour en répétant : « J’ai trois petits enfants. »
Et l’enfant, à nouveau, est confronté à l’indicible : « Je m’approche de cette statue, de cette gisante, marbre jaune, mains jointes comme celles de Papa. Mais ici c’est l’hôpital, pas la chambre d’amour. L’odeur sans chaleur fait frémir. Envie de courir aux toilettes, de vomir, de fuir. Une incrédulité foncière et cependant j’ai vu, j’ai touché. Maman, vraiment ? Silence dans la voiture. Il n’y a rien à dire. »
« J’ai vu, j’ai touché », comme Thomas. Et « cette brisure m’a révélé la présence de l’invisible sous le visible. »
Colette comprend que le corps n’est pas tout ; que le meilleur de Papa, de Maman, n’est pas dans leur « dépouille » pétrifiée. A sept ans, « l’enfant neuf » naît à la foi, à l’espérance. Loin de la briser, cette blessure la féconde durablement : « Cette brusquerie engendre une inquiétude au sens premier du mot, une mobilité, une incertitude du lendemain ; la conscience perpétuelle de la précarité : d’un instant à l’autre tout peut changer. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. La mort imminente ne pourrit pas nécessairement le fruit des heures, simplement elle accroît l’émerveillement de vivre et le désir de ne rien gaspiller. Elle n’est pas un obstacle à la paix intérieure. Ce n’est pas une eau croupie, mais une source jaillissante. »
Colette deviendra femme, mère, poète, enseignante. Colette Nys-Mazure, à travers chacun de ses poèmes, chacune de ses paroles, chacun de ses sourires, nous rappelle que « la mort n’a pas eu le dernier mot. »
Oui, la mort des parents, loin d’enfanter le désespoir, a permis l’espérance, a rendu Colette Nys-Mazure propriétaire de sa vie. Et si son espoir prend la forme d’une croix, sa sagesse rejoint toutes les autres. Comme les bouddhistes, elle emploie le mot « éveil » pour désigner cet enthousiasme qui l’anime, et il y a du « satori » dans sa vision du chemin de la vie :
« Vivre, avancer, en vie autant qu’en âge, c’est aller doucement non vers sa fin, mais vers un accomplissement pourrait-on dire si le mot ne semblait pas trop vaste ou prétentieux, car, si toute vie est inachevée, branlante, boiteuse, elle tient de l’itinéraire partant du berceau vers le tombeau et l’au-delà de cette mort tellement visible qu’elle masque le reste. Chaque jour je commence, oui, je n’en finis pas de commencer. »
Les éditions
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L'enfant neuf [Texte imprimé] Colette Nys-Mazure
de Nys-Mazure, Colette
Bayard / Spiritualité
ISBN : 9782227471443 ; 0,98 € ; 13/01/2005 ; 77 p. ; Broché
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Un regard surplombant la vie avec sérénité...
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 19 octobre 2012
Frappée par l'absence, le deuil, l'énorme vide sur lequel tout construire, Colette apprend pourtant à se contenter de faire un pas à la fois. De chercher l'amour où il y en a. Et l'auteur de regarder avec tant d'acuité et d'amour l'enfant du passé toujours présent au fond d'elle-même.
Apprendre à apprendre, la vie.
Beaucoup de sensibilité et de clairvoyance, une route du retour pleine d'attention et de compassion.
Un très beau message qui berce aussi cet enfant en nous.
Le deuil de ses parents
Critique de VLEROY (, Inscrit le 9 janvier 2006, 45 ans) - 10 avril 2007
"L'enfant neuf" est un ouvrage autobiographique que Colette Nys-Mazure dédie à ses cinq enfants "qui n'ont pas connu leurs grands-parents. Que cette évocation leur rende un peu de leur présence".
Dans la première partie intitulée "L'épreuve", elle retrouve son regard d'enfant pour nous raconter la mort brutale de ses parents survenue en l'espace de quelques semaines alors qu'elle avait sept ans. Colette Nys-Mazure commence son récit le 17 octobre par le dernier petit-déjeuner pris avec ses deux parents, son frère Jean-Paul et sa soeur Chantal. Elle évoque ensuite l'annonce de l'accident de voiture de son papa, les visites des proches et les funérailles. Elle est perdue dans ce monde d'adultes : "Les grandes personnes n'entendent pas nos paroles. Elles écoutent d'autres voix et celles-ci paraissent de plus en plus alarmantes".
En effet, sa mère n'étant plus que l'ombre d'elle-même, Colette est hébergée à Kain chez sa tante Jeanne. Le 11 janvier, sa maman Elisabeth s'éteint à l'hôpital.
Dans la deuxième partie du livre, Colette Nys-Mazure reprend son regard d'adulte pour analyser l'impact de cette double perte dans sa vie : "Il me faudra des années pour mesurer l'impact de cette rupture première ; ce qu'elle a modifié dans ma perception de l'existence, dans la manière de croire et d'espérer".
Elle y rend hommage à l'écoute sans jugement et aux conseils de son institutrice Mère Marie-Tarcisius, devenue ensuite une confidente. Elle raconte comment elle a pris conscience de la vulnérabilité des adultes. Elle remercie ses proches de l'amour qu'ils lui ont donné et de lui avoir parlé de manière naturelle de ses défunts parents :
"La faculté d'adaptation des enfants est infinie pour autant qu'ils se sentent aimés, sollicités, tirés vers le haut. Le goût d'apprendre, le stimulant de l'école m'ont arrachée à la délectation morose. J'ai été relancée vers la vie plutôt qu'enfoncée dans le malheur (...) Il m'a été donné de rencontrer dès l'aube la mort, sa ruine, et tout aussitôt la puissance de l'amour gratuit, de la pure bonté. Là s'ancre l'élan de la vie, le goût d'être et d'aimer. Avoir reçu un tel amour rend capable de donner à son tour".
Malgré la gravité du sujet, Colette Nys-Mazure, fidèle à sa foi, nous fait comprendre que la Vie doit être plus forte que la Mort. Elle m'a fait penser à la conférence de David Lachman (un rescapé des camps de concentration) durant mes études et au livre "Oscar et la dame rose" d'Eric-Emmanuel Schmitt qui transmettaient le même message d'espoir et d'optimisme. A conseiller aux personnes qui viennent de perdre un proche. Merci Colette.
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