La Hache et le Violon
de Alain Fleischer

critiqué par THYSBE, le 3 février 2005
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Déconcertant, époustouflant !!!
«Par hasard, la fin du monde a commencé sous ma fenêtre.»
Voici le début de ce que sera tout un contexte absurde et étrange de ce roman d’Alain Fleischer.
Cycliquement cette phrase reviendra au début de chaque époque qui en comporte 3 : 1933 – 1944 et 2042. A chaque période on retrouvera le même narrateur à travers le temps. Il aura vieilli ainsi qu’Esther qui l’accompagne à une place différente et indéfinissable.

Fleischer va nous faire vivre des moments complètement ahurissant où la raison n’a plus sa place. Mais est-ce raisonnable le totalitarisme ? Car il s’agit bien de cela, cette calamité qui prend possession petit à petit de cette petite ville d’Europe centrale. Elle vivra à l’heure de la révolution culturelle sur le plan musical. Car, à chaque fois qu’une musique sera jouée, ce fléau frappera sournoisement. La hache, tel est le nom donné à ce souffle qui précède le meurtre. Alors les autorités décident de prendre la situation en main. Seule la musique militaire doit être jouée. De cet arrêté une résistance se mettra en place :
-« Je considère comme une authentique catastrophe historique la division de la musique en deux catégories opposées l'une à l'autre : d'un côté la bonne musique, c'est-à-dire la musique militaire, patriotique et populaire, et de l'autre la musique internationale, apatride et élitiste. Cet artifice constitue la plus grave manipulation culturelle et esthétique dont les politiques se soient rendus coupables à ce jour. »

Cette allégorie de l’autoritarisme dénoncera la faiblesse des uns et le courage des autres. Il démontrera que l’histoire trouve sa matière et ses commentaires dans ce qui nous apparaît comme des fictions. Que l’imagination n’est qu’une forme de la mémoire, de l’histoire.
L’abus de ces pouvoir fallacieux et hypocrites seront reconduit d’époque en époque : l’histoire se répète toujours.

Dans un rythme étourdissant on passera la première période qui se joue dans la plus grande partie du livre. Les situations défilent à une allure incroyable, on est pris dans un tourbillon incohérent et indescriptible. Les rafles, les arrestations, les oppressions seront les armes imposées, mais la hache survie…

L’auteur nous communique la peur qui s’installe. Il nous ôte toute notre perception du réel. Son discours tranchant à la foi politique et philosophique nous transportera dans ce monde indéfinissable. Ces messages chargés de paraboles seront portés par un vocabulaire et un style puissant et percutant.
Je pense qu’il ne faut pas s’en tenir qu’à une seule lecture. Beaucoup de préceptes sont exprimés.
On sort abasourdie de celle lecture.
Envoûtant! Etourdissant! 10 étoiles

Comme l'a fait Thysbe, on peut accumuler les adjectifs, les compléments et les propositions pour dire combien ce livre est grandiose. Jamais je n'avais lu un tel ouvrage.

On ne saurait le résumer: ce serait l'appauvrir et même le squelétiser, tant il est détaillé, tant chaque mot est à sa place et tient sa place dans l'ensemble.

Ce chef d'oeuvre (j'ose employer ce mot) est travaillé comme une pierre finement ciselée. Rien n'échappe au contrôle de l'auteur. Tout est judicieusement pensé. Un véritable travail de titan qui fait la différence vis à vis de tous les livres dont nous sommes inondés de nos jours et dans laquelle la qualité se noie.

Je terminerai avec quelques citations d'une critique du Monde:

"Un récit à la fois historique, humoristique, fantastique - dans la ligne de Kafka mais choisissant, à partir de la même angoisse, du même sentiment de chaos, de substituer le rire au désespoir."

"Il n'y a aucun temps mort, chaque phrase est à sa place, indispensable, comme l'est chaque note de musique dans une symphonie."

"Un roman inoubliable qu'on peut relire et relire, sans en épuiser le sens."

"C'est presque devenu une règle, depuis une vingtaine d'années: il est déconseillé, sauf à prendre le risque d'être soupçonné des pires compromissions, de dire d'un roman écrit en français qu'il est un grand livre. [...] Alain Fleisher, avec son obsession de l'Europe Centrale - où sont ses racines - et du désastre qui l'a frappée au XXe siècle, aurait pu falsifier sa biographie et prétendre écrire dans une autre langue. A coup sûr, il serait déjà, sinon bestseller, du moins unanimement célébré."

Tirolina - Poitiers - 35 ans - 29 juin 2006