Les vingt Jours, 1er-20 mars 1815
de Jean Tulard

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 22 février 2005
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Premier mars 1815 ! Souvenons-nous !
Oui, bientôt le premier mars 2005, souvenons-nous ! Il y aura juste 190 ans Napoléon mettait le pied sur le sol de France après un exil de 11 mois sur l'île d'Elbe. Le 6 avril 1814 il avait abdiqué à Fontainebleau. Son frère, son faux frère, le Tsar Alexandre entrait à Paris, à la tête des Russes, des Prussiens, des Autrichiens et des Anglais ; il était reçu en vainqueur par Talleyrand.
L'Empereur, bel et bien battu, était déchu !
Ceux qui hier encore criaient "A bas le Roi, vive la République, vive l'Empereur", accueillaient, résignés, le retour du Roi Louis XVIII, l'exilé de 1791.
Mais on n'avait pas la rancune tenace. La Restauration allait durer des siècles sous l'œil apaisé de l'Europe. .. .. .. Mais !
Mais, en ce premier mars 1815, l'Aigle s'est échappé de son île et vole de clocher en clocher jusqu'à Notre-Dame de Paris.
C'est cette fabuleuse épopée que Jean Tulard nous raconte dans Les Vingt Jours : L'invasion de la France par un homme seul !
Certes, nous n'aimons pas Napoléon. C'est un fauteur de guerre, il a saigné la France et ravagé l'Europe, mais aujourd'hui nous nous passionnons : C'est l'Histoire qui sort des livres pour marcher sur les chemins de France !
Napoléon est seul ; il a bien quelques hommes de main sous les ordres du fidèle Cambronne, mais six gendarmes auraient suffit pour l'arrêter. Seulement voilà, qui oserait l'arrêter ?
En ce premier mars 1815, dans les campagnes de France les paysans étaient tristes et déçus. Les conquêtes de la Révolution étaient perdues. C'était le retour de la Noblesse arrogante qui se croyait tout permis, c'était le retour du Clergé sermonneur qui se croyait tout puissant. C'était le retour du joug féodal.
Alors voilà qu'apparaît l'homme du miracle, l'enfant du peuple, le prince des armées, l'honneur et la gloire de la France ! Les paysans prennent leur fourche et marchent au côté de leur père, de leur sauveur. Et on crie et on chante, ha ! ça ira, ça ira, ça ira, l'Empereur est revenu, il nous rendra nos terres, notre liberté, notre honneur, et notre joie de vivre ! Vive l'Empereur !
Le Roi envoie contre lui, des troupes conduites par les Maréchaux de la Grande Armée, mais quand ces braves se retrouvent devant leur Empereur, ils s'effondrent, ils pleurent et se rallient à lui. A tel point que Napoléon, goguenard, télégraphie au Roi : "Ne m'envoyez plus de troupes, je ne sais plus quoi en faire" !
Le Maréchal Ney, le Brave des Braves, avait donné sa parole aux Bourbons. Il entendait servir la France. Le Roi l'avait chargé d'arrêter l'Usurpateur et le Maréchal avait promis : "Je vous le ramènerai dans une cage en fer" !
La rencontre à lieu sur la Grand'Place d'Auxerre. Le Maréchal Ney met son Empereur en joue, mais il hésite. Alors, Napoléon lui crie : "Visez au cœur, Maréchal ! Et si votre main tremble, venez dans mes bras" !
C'est le délire ; on rit, on chante, on pleure. Napoléon est porté en triomphe. La France profonde a réélu son Empereur !
Dans une seconde partie du livre, Jean Tulard nous raconte par le menu, les états d'âme, les hésitations, les problèmes de conscience de tous les responsables qui se sont trouvés soudainement nez à nez avec Napoléon ; ils devaient décider sur-le-champ.
L'auteur nous explique que beaucoup écoutaient leur conscience qui leur disait : Fidélité, respect du serment, devoir d'obéissance. Oui, mais obéissance à qui ? Où était le droit, où était la légitimité ?
D'autres, opportunistes, soupesaient les chances des deux rivaux, le Roi ou l'Empereur, soucieux avant tout de sauver, qui sa place, qui sa tête. Il aurait été prudent de garder un pied dans les deux camps mais face à l'Empereur, il était impossible de rester neutre.
L'auteur a passé en revue tous les Préfets, les Maires, les Généraux, les Officiers de Gendarmerie. C'est le fruit d'un travail de recherche gigantesque mais ça pourrait paraître un peu long. Il a épluché toutes les archives, les comptes rendus, les journaux et déclarations de l'époque à travers toute la France : un travail de bénédictin ! Oui, cette partie du livre est un peu fastidieuse.
Mais la suite du récit retrouve le souffle épique. A Paris, les soldats, les Grognards, les Vétérans de la Grande Armée, qui se voyaient déjà contraints à planter des choux dans les campagnes, reprennent espoir. Le petit peuple, obligé de chanter, sur le retour des Bourbons : "Nous ressuscitons sur le bord de la tombe pour chanter vive le Roi", crie aujourd'hui vive l'Empereur ! Paris avait oublié ses rancœurs et accueillait avec enthousiasme le retour du régime Impérial.
Comme le constatait Chateaubriand, "les événements font plus de traîtres que les opinions". La suite on la connaît : La Campagne des Cents jours, Waterloo, Sainte Hélène !
Après Waterloo, Louis XVIII qui s'était enfui le 19 mars 1815, revient de son exil à Gand, dans les fourgons de l'ennemi, entre Talleyrand et Fouché le régicide. Ce qui fait dire aux Parisiens, jamais à cours de mots : "Entre le vice et la vertu, nous avons retrouvé notre Père de Gand !"
Voilà 20 jours de l'Histoire de France où le sort du monde s'est joué, sur un coup de dés, une hésitation, une trahison ; 20 jours où la gloire de la France et le malheur des Français se sont donnés la main ; 20 jours dont nous supportons encore aujourd'hui les conséquences, 190 ans après !
Jean Tulard a réussi à faire passer dans son récit, son enthousiasme pour cette fabuleuse page d'Histoire et il a trouvé le souffle épique qui convenait pour nous la raconter. Malheureusement, il s'est souvent perdu dans une surabondance de détails et de notes d'archives qui par endroits, alourdissent exagérément le récit.
Raison pour laquelle, après beaucoup d'hésitations, j'ai mis 4 étoiles au lieu de 5.
L'Aigle vola de clocher en clocher 8 étoiles

La critique lyrique et pleine d'enthousiasme de SJB remet très bien en tête le contexte historique dans lequel se passe cette tranche d'histoire absolument étonnante, celle de l'invasion de la France, en vingt jours, d'un homme seul.

Bien sûr, à l'instar de tout belge qui se respecte, et malgré notre répulsion pour les ravages de ces grandes guerres européennes causées par Napoléon, quelque chose en nous ne peut s'empêcher d'éprouver une sympathie innée pour l'illustrissime caporal. Voila pourquoi nous allons régulièrement nous recueillir sur le champ de sa plus grande défaite, Waterloo. Et cela même si certains d'entre-nous y vont plus par sympathie pour l'ennemi héréditaire, le duc anglais vainqueur, soit dit en passant.

Mais enfin, en 1815, au moment où il sort de son exil, Napoléon est anachronique. Il n'avait plus de rôle à jouer dans l'Europe qui panse ses plaies. Alors pourquoi ce revirement total de la population, surtout les paysans et les ouvriers, en faveur de Napoléon ? L'auteur explique très bien cet étonnant épisode : l'arrogance de la noblesse qui n'avait pas compris les aspirations du peuple, une crainte d'un retour à l'esprit féodal, l'anachronisme du clergé qui n'avait rien compris à l'esprit du temps, les humiliations subies par les populations du fait des puissances alliées, les vétérans des campagnes historiques de Napoléon contraints de planter des choux en province...

Mais l'angle privilégié par Jean Tulard est de s'intéresser au cas de conscience des protagonistes principaux dans cet histoire : entre le roi et Napoléon, qui choisir ? Les préfets (surtout ceux qui se trouveront sur la route de Napoléon), les maréchaux, les hommes politique en vue (Taleyrand, Fouché),.. il faut se décider, mettre sa carrière en jeu, dans un choix qui se fera soit par conviction soit par opportunisme (le plus souvent). Les plus doués parviennent à ménager la chèvre et le chou, car si le retour de Napoléon semblait irrésistible, la pérennité de son retour était bien douteuse. La défection la plus célèbre, qui donne lieu à une scène somptueuse dans le film Waterloo de Bondartchuk, est celle du brave des braves, le maréchal Ney qui sera le précurseur du revirement complet de l'armée.

Tout comme SJB, je dois avouer que j'ai passé les quelques pages qui détaillent, département par département, la liste des préfets avant et après le retour de l'empereur. A noter la très bonne postface, qui donne un éclairage sur l'art de survivre en politique en reniant ses convictions ou ses allégeance.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 19 novembre 2011