De la démocratie en Amérique
de Alexis de Tocqueville

critiqué par Jules, le 4 avril 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un livre étonnant sur l'Amérique écrit en 1835
À la lecture de ce livre, nous pourrions croire qu’Alexis de Tocqueville a reçu au berceau un solide don de devin.
En fait, il s'est contenté d’observer les Américains, leurs origines et leurs comportements. Ajoutez à cela l'étude du texte fondamental de la constitution, et il va tenter de prévoir ce que pourrait être l’évolution future de ce grand pays. Et il ne se trompera pas souvent !…
Tocqueville écrit le premier tome de ce livre en 1835 et le second en 1840, donc avant la guerre civile. Il aura voyagé aux Etats-Unis de 1831 à 1832.
L’Amérique est d'abord pour lui un objet d'étude : la première véritable démocratie sans aristocratie. Elle a été construite sur le rejet de la tyrannie, la soif de liberté et la volonté de garantir l'individu et son droit au bonheur. De cette volonté de liberté et du respect de l’individu par-dessus tout, elle arrivera à créer un vaste ensemble étatique au sein duquel l’individu ne peut pas être un simple rouage.
La constitution est le document sacré par excellence ! Cela est d'autant plus vrai, qu’à ma connaissance, ce texte n’a connu que trois modifications depuis l'indépendance. Les Américains ont horreur d’envisager l’éventualité d’une modification de ce texte tout à fait fondamental pour eux. C'est ce qui explique que le problème qu’a posé l'élection Bush-Gore risque bien peu d'entraîner une révision du système électoral présidentiel.
Tocqueville étudie la répartition des pouvoirs mis en place pour arriver aux résultats souhaités, ainsi que leurs différentes procédures d’élections. La répartition des pouvoirs et le contrôle respectif de ceux-ci est à la base du système. Tocqueville aura immédiatement compris qu'il devait faire de la presse le quatrième pouvoir !. Rappelez-vous l’affaire du « Watergate » sous Nixon.
Chaque état a sa constitution, son gouverneur, son sénat, sa chambre et son pouvoir judiciaire. Le fédéral n'a pour compétences que celles qui lui ont été reconnues et déléguées par les états.
En résumé, voyons ce que de Tocqueville aura constaté et deviné en voyant vivre ce grand pays.
Tout d'abord il énonce un principe qui nous frappe, nous citoyens de vieux pays aux pouvoirs législatifs débridés : une loi ne peut être valable que si elle ne viole pas des libertés fondamentales de l’individu. Et cela même devrait-elle obtenir une large majorité !. La tyrannie de la majorité ne peut pas se substituer à la tyrannie d'un homme. La majorité n'a pas nécessairement raison et, dans ce cas, ses décisions seront cassées !
Il constate que dans une vraie démocratie les choses bougent, les gens s'activent de tous côtés, alors que dans une tyrannie tout semble bien statique et les gens amorphes. Le tyran, fut-il éclairé, n'arrivera jamais à faire aussi bien que l’ensemble de la volonté des citoyens.
Aux yeux de la démocratie américaine, le gouvernement n’est nullement un bien : il est un mal nécessaire.
Il constate aussi que, dans cette démocratie américaine, seuls les hommes modérés et moyens se lancent en politique. Les vrais hommes de talents poursuivent davantage la richesse que le pouvoir politique. Combien de fois n’avons-nous pas été étonnés par les choix électoraux présidentiels des Etats-Unis ?. Il dit aussi qu’il n'est pas certains que les électeurs choisiraient les plus talentueux.
À ses yeux, la liberté démocratique ne réalise pas aussi bien ses objectifs que ne le ferait un despote intelligent, mais, si elle fait moins bien, elle fait beaucoup plus et, souvent, ce qui est grand ne vient pas de l'administration, mais de ce que les citoyens font sans elle.
Selon lui, un tel peuple n’aura pas pour objectif de faire de grandes choses, de laisser une trace dans l'histoire, mais bien de créer la richesse, le confort, une vie la plus agréable possible au plus grand nombre possible. Ce ne sera peut-être pas une société brillante, mais bien une société prospère.
Comment Tocqueville, en 1835, a-t-il pu écrire qu'il voyait dans le siècle suivant deux grandes puissances qui domineraient les autres : les Etats-Unis et la Russie. Il dit que l’une dominera par sa démocratie, la liberté et sa richesse, alors que l'autre dominerait par le glaive et le despotisme.
Je m’arrête ici et ne peux que vivement vous conseiller la lecture de ces deux livres. Vous comprendrez beaucoup de choses qui, aujourd'hui, nous font parfois sourire des Américains.
Vaines espérances... 6 étoiles

Il y a des livres qui semblent nous attendre. Ainsi il y a quelques années, un professeur de Sciences Économiques et Sociales avait recommandé à l'ensemble de la classe dont je faisais partie un livre de Tocqueville intitulé "De la Démocratie en Amérique". Un peu désabusé par le fait qu'aucun de ses élèves ne l'avait encore lu et par le peu d'enthousiasme manifesté envers son conseil, il nous encouragea quand même à le lire (et à lire, d'une manière générale !).
Cela est resté gravé dans ma mémoire, et l'idée de lire un jour ce livre, au titre fort attirant au demeurant, s'est mise à germer dans mon esprit. Et puis vient l'achat... et la découverte.

Mais très vite le désenchantement pointe le bout de son nez et l'essai de Tocqueville paraît un brin pompeux, redondant et un peu trop orienté vers le juridique. Le style est limpide, les phrases claires et non alambiquées mais l'auteur use de répétitions d'idées et de formules qui gâchent le plaisir de lire et allonge inutilement ce qui aurait pu être un excellent essai croisant philosophie, politique et juridique.
Le premier tome notamment se révèle vite austère car trop exposé sur le factuel, avec des constats bien trop chiffrés et bien trop de faits juridiques étalés. Le deuxième tome n'arrange guère les choses et si l'on apprécie d'y trouver un peu plus de réflexions personnelles de l'auteur, et même quelques "prédictions" ou anticipations étonnantes de pertinence et de justesse, les idées tournent vite en boucle et provoque la lassitude.

Un constat d'autant plus amer et dommageable que Tocqueville avait eu la bonne idée de ne pas nous présenter l'Amérique comme un modèle, expliquant sans cesse que les différences sociales, géographiques... sont bien trop importantes pour que l'on décide d'appliquer le modèle américain aux autres pays dans un copié-collé qui serait improductif et pas forcément salutaire. Sans compter le fait que le pays n'a connu ni monarchie ni aristocratie avant.

Dans tous les cas, malgré l'intérêt que peut susciter le thème d'origine, on ne peut que regretter l'austérité et la redondance éprouvante de l’œuvre de Tocqueville, gâchant les promesses de délices (mais pas de culture) que nous avait promis notre professeur.

Vaines espérances...

Ngc111 - - 38 ans - 9 novembre 2011


Démocratie et égalité : effets sur la société 9 étoiles

La démocratie et la société ont pour effet sur la population qu'elle s'intéresse aux idées générales et aux affaires, plutôt qu'aux détails et aux arts, qui sont davantage le fait des sociétés aristocratiques, davantage penchées sur le passé.
L'égalitarisme a des effets sur les relations maîtres-valets, sur la recherche - accrue - du bien-être et sur la place de l'armée. En effet, la société civile s'en désintéresse, alors que le pouvoir politique et l'armée sont tentés par l'interventionnisme militaire, pour des raisons d'influence et d'assise économique, ce qui est étrangement prémonitoire.

Le second opus de cet ouvrage est truffé de bien d'autres révélations sur cette société en essor et en mouvement perpétuel, dans tous les sens du terme ; ce qui le rend encore plus vertigineux est que cette étude reflète encore certains aspects de celle qui lui succède, notamment sur la cohabitation des races, juxtaposées, et donc peu mêlées, les considérations sur l'esclavagisme évidemment mises à part.

Voilà un article incontournable, à la lecture confondante, définitivement majeur.

Veneziano - Paris - 47 ans - 2 mai 2008


Brillant et visionnaire 10 étoiles

Ce livre est époustouflant, et mérite son statut de monument de la science et de la sociologie politiques. Alexis de Tocqueville passe en revue, au peigne fin, le régime politique et les composantes de la société américaine de la première moitié du XIXème siècle de façon confondante et visionnaire.

Sur le plan institutionnel, il analyse en détail la Constitution, les institutions et la vie politiques de la Confédération, devenue Fédération, des Etats-Unis d'Amérique. Quels en sont les éléments qui en font indubitablement une démocratie ? un système politique stable ? Quel est le risque qu'il crée une dictature de la majorité ? Pourquoi le suffrage universel indirect est-il adapté, en droit et en pratique - de l'époque - , pour l'élection présidentielle ? Jusqu'à quel point les contrepoints sont-ils efficaces ? Et comment s'articulent les composantes de la sociologie politique de cet Etat encore partiellement en gestation ? C'est à tous ces éléments que l'auteur répond savamment et longueur, dans un langage d'une clarté impressionnante, et, de surcroît, en faisant d'une assez grande humilité.

Il ne s'arrête pas à l'analyse du système politique. Il décrit également une société, également en cours d'élaboration, du fait de la conquête territoriale, au prix du génocide d'un peuple voué au déclin, selon l'auteur, et des phases migratoires successives, ainsi que l'importation d'esclaves.
Tous ces éléments font l'objet de développements amples, aussi intrigants par l'intérêt qu'ils suscitent - on croirait revivre l'époque, la société qu'il découvre sous ses yeux - que par sa puissance d'analyse, lucide, et étonnamment annonciatrice de grandes évolutions de fond.

Il s'agit bien d'un ouvrage majeur, dont je vous exposerai les grandes lignes de la suite, dès que je l'aurai ingérée.

Veneziano - Paris - 47 ans - 30 avril 2008